Miss Ellen referma la fenêtre et se remit au lit.
Elle savait maintenant une chose : c’est que le Limousin couchait dans le chantier au lieu de s’en aller le soir, comme les autres maçons.
Sir James Wood s’est levé bien avant l’ouverture du chantier, mais il ne soupçonne rien.
Miss Ellen restait au lit et paraissait résignée à sa captivité.
Elle alla au bois comme à l’ordinaire, rentra pour l’heure du dîner, toujours accompagnée de ses deux gardiens, et profita du moment où sir James Wood la laissait seule afin qu’elle pût se déshabiller, pour écrire cet autre billet qui était plus explicite que le premier.
« Vous est-il possible de parvenir jusqu’à moi, soit à l’aide d’une échelle, soit en grimpant le long d’un tuyau de conduite ? Vous êtes le seul homme que je connaisse à Paris, et je suis prisonnière. Si vous le pouvez, écrivez-le-moi ; cette nuit je laisserai pendre un fil après lequel vous attacherez votre réponse. Je vous le répète, vous serez généreusement récompensé. »
Elle cacha ce billet dans son corsage et attendit le soir patiemment.
Sir James Wood, une fois la nuit venue, ne se méfiait plus du chantier.
Quelquefois même, il confiait la garde de miss Ellen à son camarade et allait faire un petit tour de boulevard. Miss Ellen, après dîner, se mettait à un piano et gagnait ainsi dix heures, moment où elle se mettait au lit.
Jamais les heures ne lui avaient paru plus longues que ce soir-là.
Enfin, sir James Wood sortit, après avoir installé l’autre détective dans l’antichambre, et miss Ellen s’enferma chez elle.
Elle s’enveloppa d’un peignoir, éteignit sa bougie, ouvrit sa fenêtre sans bruit et se pencha sur le chantier.
Comme la nuit précédente, deux hommes causaient à voix basse auprès du feu de nuit.
C’étaient l’invalide et le Limousin.
Celui-ci n’eut pas besoin de lever la tête, car il avait constamment les yeux fixés sur la fenêtre.
La nuit était assez claire, du reste, et le Limousin, voyant apparaître l’Anglaise, se leva et vint se placer verticalement au-dessous de la croisée.
Alors miss Ellen lâcha son billet et disparut de nouveau.
Le Limousin le ramassa, revint auprès du feu et le lut. Puis, il le montra à l’invalide.
– C’est bien drôle tout de même qu’elle soit prisonnière : prisonnière de qui ? est-ce d’un mari jaloux ?
– Oh ! fit le naïf Limousin, qui eut un battement de cœur et un rugissement de colère dans la voix.
Tout maçon a un crayon qui lui sert à tracer des lignes sur la pierre ou à faire ses calculs.
Le Limousin n’avait pas de papier ; mais il alla chercher dans un coin du chantier une planchette de trois pouces de long sur quatre de large, et qui n’était autre chose qu’un fragment de plinthe peinte en gris. Puis, avec son gros crayon bleu il écrivit dessus :
« Nous n’avons pas au chantier d’échelle assez longue ; mais si vous pouvez attendre six jours, je pénétrerai jusqu’à vous, et si vous le voulez, je vous délivrerai. »
Cela fait, il alla se replacer sous la fenêtre.
Miss Ellen, abritée derrière ses vitres, l’avait vu écrire sur la planchette.
Elle s’était procuré dans la journée un peloton de ficelle rouge qu’elle se mit alors à débrouiller et qu’elle laissa pendre par un bout dans le chantier.
L’intelligent Limousin y attacha solidement la planchette et miss Ellen tira à elle.
Deux minutes après, la planchette redescendit.
Miss Ellen avait ajouté un mot :
« J’attendrai. »
Quel moyen le Limousin employerait-il pour la délivrer ?
Elle ne le savait pas, mais elle avait foi en lui.
Le lendemain, comme elle déjeunait tête à tête avec James Wood, elle lui dit :
– Dans combien de jours estimez-vous que mon père arrivera ?
– J’ai reçu une lettre de lui ce matin.
– Ah !
– Lord Palmure sera ici dans treize jours.
– Pourquoi donc, au lieu de venir me chercher, ne vous a-t-il pas confié le soin de me ramener en Angleterre ?
Une ombre de sourire glissa sur les lèvres de sir James Wood.
– Mais, dit-il, lord Palmure n’a nullement l’intention de vous ramener en Angleterre.
– Ah ! vraiment ?
– Il ne veut pas s’exposer à vous voir passer ouvertement aux Fénians.
– Ah ! ah !
– Et il compte vous emmener passer l’hiver en Italie.
– C’est bien, dit miss Ellen, je comprends.
Et elle n’adressa plus la parole à sir James Wood.
Les jours s’écoulèrent.
De temps en temps, la pauvre prisonnière jetait un regard furtif dans le chantier.
La maison neuve était sortie de terre et montait rapidement.
Au bout de cinq jours, elle était arrivée au second étage.
Par une nuit sombre, miss Ellen se remit à sa fenêtre.
Le Limousin prit sa planchette et vint se poser au-dessous.
Miss Ellen laissa pendre le peloton de ficelle, et la planchette monta.
Le Limousin avait écrit dessus :
– Demain, à minuit, je serai chez vous.
Et miss Ellen rejeta la planchette et se mit au lit pleine d’espoir.
La nuit lui parut longue, la journée plus longue encore, cependant elle dissimula merveilleusement son impatience et sir James Wood ne se douta de rien.
Le soir venu, miss Ellen se retira chez elle et se mit au lit.
À onze heures, sir James Wood rentra de sa petite promenade.
Il ne pénétrait jamais la nuit dans la chambre de miss Ellen, mais il s’était ménagé un petit jour dans la porte, et, par ce jour, il pouvait suivre, au besoin, tons les mouvements de la jeune fille.
Sir James Wood aperçut la jeune miss, qui semblait dormir, grâce à un splendide clair de lune dont les rayons pénétraient dans la chambre et s’ébattaient sur la courtine du lit.
Sir James Wood prit possession de son lit de camp, qui se trouvait placé en travers de la porte.
Puis, un quart d’heure après, miss Ellen, qui ne dormait pas, entendit un ronflement sonore.
C’était sir James qui dormait réellement.
Alors, miss Ellen se glissa hors de son lit, s’enveloppa d’un peignoir, alla ouvrir la fenêtre et attendit.
Aux rayons de la lune, elle vit le Limousin debout sur le plancher du troisième étage de la maison neuve.
L’invalide était avec lui.
Tous deux tiraient à eux une longue planche et la faisaient glisser sur l’entablement d’une croisée, qui était placée vis-à-vis de celle de miss Ellen et tout à fait de niveau avec elle.
Alors, miss Ellen commença à comprendre, car la planche glissait sans bruit et son extrémité vint se poser sur l’entablement de sa propre croisée.
Alors encore, miss Ellen eut peur et ferma instinctivement les yeux : le Limousin venait de s’aventurer bravement sur le pont aérien, qui n’avait pas un pied de large.