Qu’était devenue miss Ellen, et comment son évasion si bien combinée avait-elle échoué ?
Pour le savoir, il faut nous reporter à l’autre nuit, celle où le Limousin, s’aventurant sur la planche, était arrivé presque dans la chambre de la pauvre Anglaise.
Sir James Wood était un détective de premier mérite.
Il savait lire au fond des cœurs ; et, quelque effort que miss Ellen eût fait pour cacher ses secrètes espérances, il les avait devinées.
Miss Ellen, s’informant de l’époque où son père viendrait en France, avait commis une première faute.
Le calme qu’elle montrait depuis deux jours avait achevé d’éveiller les soupçons du détective.
Sir James Wood avait, on le sait, percé un trou imperceptible dans la porte.
Grâce à ce trou, il pouvait voir ce qui se passait dans la chambre de miss Ellen.
Miss Ellen avait bien remarqué le trou, mais elle avait, rassurée du reste par les ronflements de sir James, pris la précaution d’entraîner le Limousin dans un coin de la chambre, hors du rayon visuel que le trou pouvait donner.
Seulement miss Ellen n’avait pas songé qu’il y avait une armoire à glace dans sa chambre, que les rayons de la lune permettaient à cette glace de réfléchir son image et celle du Limousin, et qu’elle était placée en face du trou.
Sir James Wood avait ronflé tout éveillé et n’avait pas perdu un seul des mouvements, ni aucune des paroles, quoique prononcées à voix basse, de sa prisonnière et de son futur libérateur.
Il est même probable que si le Limousin eût consenti à emmener miss Ellen cette nuit-là, sir James Wood, enfonçant la porte d’un coup d’épaule, se fût élancé à leur poursuite. Mais le Limousin s’était en allé seul.
Dès lors sir James Wood eut le temps de réfléchir et de prendre ses précautions.
Le lendemain, à l’heure du bois, sir James était aux ordres de miss Ellen.
La jeune fille monta en voiture sans défiance, et la promenade commença.
Sir James était un parfait gentleman, du reste, et on aurait pu le prendre pour l’oncle ou le père de la jeune Anglaise, dont la beauté faisait, du reste, sensation.
Comme les jours précédents, sa calèche fit le tour du lac ; mais là, sir James donna l’ordre au cocher de se diriger vers le cèdre.
– Où voulez-vous donc aller ? demanda miss Ellen, étonnée de ce changement de programme.
– Miss Ellen, répondit sir James avec son flegme habituel, j’ai quelques petites affaires personnelles à Paris, et vous me pardonnerez de les faire tout en vous accompagnant.
– Mais nous allons à Boulogne !
– Précisément.
Miss Ellen le regarda.
L’Anglais était calme, son œil bleu sans rayons, son visage aussi muet que la tête de pierre d’un sphinx.
– Allons ! murmura la jeune fille, qui ne voulait pas le contrarier de peur qu’il n’eût le moindre soupçon.
Arrivée au cèdre, la calèche descendit rapidement vers Boulogne.
Quand on fut hors du bois, miss Ellen aperçut l’autre détective se promenant dans la Grande-Rue, auprès d’une voiture arrêtée qui paraissait stationner la depuis quelques minutes seulement.
Sir James donna l’ordre d’arrêter.
Alors une vague inquiétude s’empara de miss Ellen. Elle regarda sir James.
Un sourire glissait sur les lèvres de l’homme de police.
– Il fait froid, dit-il, et le temps est à la pluie ; nous allons monter dans ce coupé.
– Mais…
– Prenez ma main, dit-il, et ne me résistez pas, miss Ellen.
Il y avait dans sa voix un accent d’autorité qui révolta la patricienne.
– Ah ! dit-elle, vous m’avez tendu un piège.
– Nullement, miss Ellen. En voiture nous causerons.
La Grande-Rue était déserte ; les douaniers de la grille étaient loin, et miss Ellen se trouvait à la merci de ses deux gardiens.
Elle obéit et monta dans le coupé.
Alors sir James s’assit auprès d’elle et leva les glaces.
L’autre détective fit un signe au cocher, et, tandis que la calèche s’en allait à vide, le coupé partit comme l’éclair.
Alors sir James dit à miss Ellen :
– Vous m’avez forcé à agir ainsi, et il n’eût dépendu que de vous que nous attendissions l’arrivée du noble lord votre père. Mais vous avez cherché à nous échapper, miss Ellen, et il faut bien que je prenne mes précautions.
Miss Ellen avait pâli.
Sir James continua :
– Le Limousin du chantier vous attendra vainement la nuit prochaine, miss Ellen.
Elle jeta un cri.
– Ah ! misérable !
– Un vilain mot que vous dites là, miss Ellen, je suis un honnête détective, qui fait son métier avec conscience.
– Et où me conduisez-vous donc ?
– Dans une maison de santé !
Miss Ellen jeta un nouveau, cri et voulut ouvrir la portière.
Sir James se mit à rire.
– Les portières sont fermées à clef, dit-il.
Elle voulut baisser les glaces, mais un ressort invisible les maintenait.
Elle essaya de regarder au travers.
Les glaces étaient dépolies.
Alors elle fut en proie à une colère de lionne prise au piège. Si elle avait eu une arme sur elle, elle aurait poignardé sir James Wood.
Le détective était toujours calme et souriant :
– Vous ne verrez pas si vite, dit-il, les gens que vous cherchez.
– Vous êtes un misérable ! répéta miss Ellen.
Sir James ne répondit pas.
Le coupé roulait grand train, et la route macadamisée avait succédé au pavé bruyant.
Miss Ellen essayait vainement de savoir où on la conduisait.
Les glaces dépolies du coupé ne lui permettait pas de voir en dehors.
Comme elle continuait à accabler sir James de son mépris furieux et d’épithètes injurieuses, il avait tiré de sa poche un numéro du Times et s’était mis à lire tranquillement.
Enfin le coupé s’arrêta un moment… puis il roula sous une voûte sonore.
– Nous voici arrivés, dit sir James.
Et avec son flegme habituel, il remit son journal dans sa poche.