L’enfant terrifié crut d’abord à un accident.
– Maman ! où est maman ? s’écria-t-il en voulant revenir en arrière.
Le mouvement des bascules avait été si rapide que la planche qui avait cédé sous les pieds de la malheureuse Irlandaise était remontée presque aussitôt, et l’enfant n’avait rien vu.
Et comme il voulait s’élancer en répétant :
– Maman ! maman !
Sir James Wood le retint d’une main vigoureuse, tandis que le charbonnier riait de son mauvais rire.
L’enfant se remit à crier et à se débattre.
Sir James lui mit une main sur la bouche, disant :
– Tais-toi ou je te tue !
L’enfant mordit cette main avec fureur.
Sir James jeta un cri de douleur et lâcha l’enfant.
Mais le charbonnier le prit au passage, et lui serra le cou de manière à l’empêcher de pousser même un gémissement.
Les deux misérables avaient entendu quelques plaintes sous leurs pieds et le clapotement de l’eau pendant quelques secondes.
Puis les plaintes s’étaient éteintes, et aussi le clapotement.
– Je crois qu’elle a son compte, avait dit le charbonnier en riant.
Et il serrait si fort le cou de Ralph, que le pauvre enfant tirait la langue et était devenu d’un rouge livide.
– Prends garde de l’étrangler, imbécile, dit sir James, cet enfant vaut cent mille francs pour moi.
L’enfant, à demi étranglé, se débattait toujours.
– Alors dit le charbonnier, mettez-lui votre mouchoir dans la bouche.
– Le voilà, dit sir James, qui secouait sa main d’où le sang sortait.
Les deux misérables bâillonnèrent l’enfant. Puis le charbonnier lui jeta un sac à charbon sur la tête et l’emporta dans le hangar.
– Qu’allons-nous en faire ? dit-il.
Ralph ne comprenait pas le français, la langue dans laquelle sir James parlait au charbonnier.
Réduit à l’impuissance, bâillonné, couvert par le sac dont la poussière noire l’aveuglait, il n’était plus dans les mains de ces hommes qu’un colis inerte.
– Crois-tu que la mère se soit noyée ? demanda sir James à Chapparot.
– J’en suis bien sûr, dit le charbonnier, il y a dix pieds d’eau dans la citerne. Et du petit, que voulez-vous en faire ?
– Il faut que tu me le gardes.
– Jusqu’à quand ?
– Jusqu’à demain.
– Faudra-t-il lui donner à manger ?
– Oui, s’il ne crie pas.
– Oh ! Je vais le mettre dans un endroit où il peut bien crier tout à son aise ; personne ne l’entendra.
Et comme il avait toujours Ralph dans ses bras, il fit signe à sir James de soulever une plaque de tôle munie d’un anneau qui se trouvait dans un coin du hangar.
Sir James obéit.
La plaque recouvrait les premières marches d’un escalier qui descendait dans les caves de la maison.
– Je vais toujours le laisser bâillonné, dit le charbonnier, qui s’engagea, l’enfant sur ses épaules, dans l’escalier, ajoutant :
– Attendez-moi ici.
Cinq minutes après, Chapparot remonta seul.
– Je l’ai enfermé dans un caveau, dit-il, dont les murs ont quatre pieds de large. Il n’y a pas un cabanon à Mazas qui soit plus solide.
En même temps il tendit la main à sir James :
– Mon argent ? dit-il.
– En voilà la moitié, répondit sir James.
Et il lui mit un rouleau d’or dans la main.
– Pourquoi ne me donnez-vous pas tout ? fit le charbonnier d’un ton hargneux.
– Afin que tu veilles sur le petit et que tu ne le laisses pas s’échapper.
– Oh ! soyez tranquille.
– Je viendrai le chercher demain, ajouta sir James, et tu auras le reste de ton argent.
– Soit, dit le charbonnier en soupirant.
Et ils quittèrent le hangar, retraversèrent la cour et entrèrent dans la boutique.
Puis sir James sortit par la porte de l’allée.
– À demain, dit-il.
Et il regagna le fiacre qui l’attendait toujours à l’angle de l’avenue Parmentier et de la rue du Chemin-Vert.
*
* *
Une heure après, sir James Wood, mis avec toute la recherche prétentieuse d’un gentleman d’outre-Manche, entrait dans un bureau télégraphique, rue Lafayette, et transmettait le télégramme suivant :
Au révérend Patterson,
92, Oxfort street,
London.
« Ralph est avec moi. Faut-il partir ? Répondez sur-le-champ.
« SIR JAMES. »
La dépêche expédiée, sir James alla tranquillement dîner au café Anglais.
C’était là que le détective Edward devait le rejoindre.
Mais le détective se fit attendre, sir James avait achevé son repas et huit heures sonnaient lorsque Edward arriva.
– Eh bien ? dit-il.
– C’est fait, répondit sir James.
– Vous avez l’enfant ?
– Oui.
– Où est-il ?
– En lieu sûr, fit sir James avec un sourire.
– Moi, dit Edward, j’ai passé à notre hôtel, et je vous apporte une lettre et un télégramme.
– Voyons ?
Et sir James tendit la main aux deux missives.
Le télégramme qu’il ouvrit tout d’abord, était la réponse du révérend Patterson.
Il était ainsi conçu :
« Écrivez lettre. Donnez détails et attendez de nouveaux ordres ».
– Comme il lui plaira, murmura sir James.
Et il ouvrit la lettre, qui portait cet en-tête :
Préfecture de police
Cabinet du chef de là sûreté.
« Venez demain matin à neuf heures à mon bureau, disait le chef de la sûreté à sir James, j’ai une proposition à vous faire et un petit service à vous demander. »
– Je me doute de quoi il s’agit, dit Edward, qui prit connaissance de la lettre.
– Ah !
– Il se commet beaucoup de vols à Paris en ce moment, et il y a, dit-on, une bande de pickpockets nouvellement débarquée. On veut nous utiliser.
– Avec plaisir, dit sir James, s’il y a de l’argent au bout.
– Alors nous irons là-bas à neuf heures ?
– Certainement, répondit sir James.
Et il demanda tranquillement du café et des cigares.
Le souvenir de la malheureuse Irlandaise ne le tourmentait point, comme on le voit !…