IX

Marmouset dit alors à sir James :

– Ne craignez rien, vous êtes en nos mains, et depuis qu’un homme qui se nommait Rocambole m’a appris à ne jamais violer mon serment, je l’ai toujours fidèlement tenu.

Je vous ai promis de vous protéger, à la condition que vous nous serviriez.

Si vous ne cherchez pas à vous soustraire à nos engagements, il ne vous arrivera aucun mal. N’est-ce pas, gentleman ?

– Assurément non, dit le fénian.

Et Marmouset regarda le gentleman.

– Je vous confie à monsieur, poursuivit Marmouset, parce que j’ai besoin de toute ma liberté d’action ; mais monsieur me jure que pas un cheveu ne tombera de votre tête si vous ne cherchez à nous nuire.

Sir James Wood regardait le fénian et continuait à trembler.

Marmouset acheva :

– Monsieur sait bien que c’est au nom de l’homme gris que je vous ai fait cette promesse.

– C’est vrai, fit le fénian, et la promesse sera tenue.

Puis, regardant à son tour Marmouset :

– Que désirez-vous que nous fassions, monsieur ? dit-il.

– Monsieur, répondit Marmouset, je laisse à sir James le choix : ou de rester ici prisonnier sur parole… ou de vous suivre…

– Je préfère rester ici, balbutia le détective.

– Monsieur, dit le gentleman, voulez-vous me permettre d’émettre mon sentiment ?

– Parlez…

– Laissez monsieur en nos mains jusqu’à ce que l’homme gris soit en liberté.

– C’est pareillement mon avis, dit Milon.

Alors sir James se jeta aux pieds de Marmouset :

– Monsieur… par pitié… dit-il, ne me laissez pas aux mains des fénians…

– Puisque nous ne te ferons aucun mal ! dit le fénian.

Et comme sir James baissait la tête :

– Tu me connais, pourtant, dit le gentleman.

Sir James ne répondit pas.

– Et tu sais que je tiens parole.

Puis le gentleman se dirigea vers la fenêtre.

– James, dit-il, encore, je n’ai qu’à me pencher dans la rue, à donner un coup de sifflet et six hommes seront ici en un clin d’œil, et ton châtiment commencera. Je te le répète, si tu veux me suivre de bonne volonté, nous tiendrons fidèlement la promesse que monsieur t’a faite.

– Allez, sir James, dit Marmouset d’un ton solennel ; au nom de l’homme gris, je vous jure que vous ne courez aucun danger.

Et sir James fut contraint de suivre le gentleman.

Quand ils furent partis, Milon dit à Marmouset :

– C’est égal, nous eussions mieux fait de laisser sir James à Paris.

– Et pourquoi cela ?

– Un de mes contremaîtres lui aurait descendu à manger chaque jour dans le puits, et nous aurions été tranquilles.

– Oui, mais ici il nous servira.

Milon haussa les épaules.

– Voilà qui n’est pas sûr, dit-il.

– Il sait bien que dans le cas contraire, il est condamné à mourir.

Milon ne se trouva pas convaincu.

– Et qui vous dit, reprit-il, qu’il ne fera pas le sacrifice de sa vie un beau matin ?

– Dans quel but ?

– Dans le but de se venger.

Marmouset tressaillit.

– Voyez-vous, ajouta Milon, j’ai été au bagne, moi, et j’y ai connu des natures incorrigibles et qui dominent la peur de la mort.

– Quoi qu’il en soit, fit Marmouset, nous n’avons pas à le craindre pour le moment. Songeons à l’homme gris, c’est-à-dire à Rocambole, notre maître.

*

* *

Marmouset et Milon se mirent donc au lit et dormirent la grasse matinée, descendirent vers midi et déjeunèrent, puis ils allèrent se promener.

Un petit billet leur était parvenu dans la matinée. Il était de Vanda.

Vanda écrivait :

« Nous sommes très confortablement, ma femme de chambre et moi, et nous attendons patiemment tes ordres, puisque c’est toi qui diriges notre expédition. »

Marmouset avait répondu ce mot.

« Attendez ! »

Milon et lui ne se quittèrent pas de la journée ; puis, le soir venu, ils allèrent à Evans Tavern.

Le détective Edward s’y trouvait déjà.

Tous trois s’assirent à une table, demandèrent de la bière et se mirent à causer à voix basse.

– Eh bien ? fit Marmouset.

– Eh bien ! dit Edward, vous avez deviné.

– Ah !

– L’homme gris s’est moqué de la police, de la pairie et du clergé.

– Vraiment ? dit Marmouset avec un sourire.

– On lui a mis dans sa prison, poursuivit Edward, ce que vous appelez, vous autres, un mouton.

– Bon !

– Il aura très probablement ensorcelé le mouton.

– Cela ne m’étonne pas, dit Milon, qui se souvint de l’étrange don de fascination que possédait Rocambole.

– Et le mouton est avec lui.

– Quelle preuve en avez-vous ?

– Ce monsieur a raconté que l’homme gris lui avait confié qu’il comptait beaucoup pour sa délivrance sur un chef fénian qui se trouvait à Paris.

– Et qui se nommait Rocambole ?

– Justement.

– Pauvre gens ! dit Marmouset en souriant.

– Puis, c’est lui, le mouton, continua Edward, qui leur a donné l’idée de faire l’article des journaux.

– Ah ! ah ! Et que vous a dit le révérend Patterson ?

– Il est pressé de voir arrêter Rocambole.

– Fort bien.

– D’autant mieux, ajouta Edward, qu’on compte bien le mettre dans la même cellule que l’homme gris.

Cette fois Marmouset partit d’un éclat de rire.

Puis il dit à Milon :

– Tu peux ce soir aller trouver Vanda.

– Ah !

– Et lui dire que je me fais arrêter demain matin.

– J’y vais, dit Milon. Où vous retrouverai-je ?

– À l’hôtel des Trois-Couronnes.

Et Marmouset dit à Edward :

– Cela ne m’avancerait pas à grand’chose d’entrer à Newgate ce soir, il faut nous arranger pour me faire arrêter demain matin.

– Où cela ?

– À l’hôtel, dans mon lit.

– Entrer à Newgate n’est rien, dit Edward, mais… en sortir ?

– Oh ! répondit Marmouset, ne vous inquiétez pas, j’ai mon affaire.

– Vous avez le moyen d’en sortir ?

– Avec les excuses de Leurs Seigneuries. Milon a ses instructions à ce sujet.

Puis il ajouta :

– Et maintenant, quittez-moi, et envoyez un petit billet au révérend Patterson pour lui apprendre que vous avez l’œil sur Rocambole.

Que diable ! murmura Marmouset d’un ton moqueur, il faut bien que le chef des détectives anglicans passe enfin une bonne nuit !…

Le détective s’en alla et Marmouset fut tranquillement se coucher.

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