Mistress Robert M… et ses filles trouvèrent Vanda charmante.
Mais leur sympathie se changea en enthousiasme lorsque la jeune femme eut passé au cou de Lucy Robert, l’aînée des deux sœurs, un collier de grosses perles qu’elle portait, et que la jeune fille avait naïvement admiré.
Après le déjeuner du matin, l’intimité la plus parfaite régnait entre le gouverneur et sa famille et les hôtes un peu forcés qu’ils avaient.
Sir Robert M… n’était ni un joueur de whist ni un amateur passionné du billard, bien qu’il en eût un chez lui ; mais il jouait bien aux échecs.
Marmouset, pour achever de faire sa conquête, lui proposa une partie et le laissa gagner.
Mistress Robert et ses filles firent de la musique avec Vanda, qui était excellente pianiste.
Et l’on gagna ainsi l’heure du lunch.
Ce fut alors que Marmouset dit à sir Robert :
– Vous savez qu’il est une chose convenue dans mon programme ?
– Laquelle ?
– C’est que vous montrerez Newgate en détail à Mme Peytavin, qui est friande de ces émotions-là.
– Très volontiers, dit sir Robert, qui avait, du reste, un grand plaisir à montrer sa prison et ses prisonniers aux visiteurs. Seulement, je vous demande une grâce, gentleman.
– Parlez…
– Il a été convenu entre nous que ce mystérieux prisonnier, qu’on nomme l’homme gris, viendrait faire ce soir votre partie d’échecs ?
– Oui, ce soir, et tous les soirs de mon séjour ici.
– Bon ! dit sir Robert. J’ai pris mes précautions pour cela, et il n’y a que deux de mes gardiens, dont je suis parfaitement sûr du reste, qui sauront qu’il quittera son cachot une heure ou deux par soirée.
– Eh bien ?
– Pour tout le reste de mon personnel, l’homme gris est un secret.
– Ah ! ah !
– Et j’ai l’ordre formel du lord chief-justice de ne le laisser voir à personne.
– Alors, pour le moment, vous ne nous montrerez pas l’homme gris ?
– Non.
– Mais nous verrons les autres ?
– Certainement ! Vous verrez tout, d’ailleurs, depuis la cage aux oiseaux jusqu’aux anciennes oubliettes.
– Ah ! il y a donc des oubliettes à Newgate ? dit Marmouset impassible.
– Oui ! nous en possédons deux.
– Ce que vous me dites là m’étonne fort, mylord.
– Pourquoi ?
– Mais parce que j’ai lu, dans l’histoire d’Angleterre, que Newgate avait été construit en 1780 seulement.
– Oui, certes, mais sur l’emplacement d’une autre prison, qui fut brûlée à cette époque.
– Ah ! c’est différent, car je ne m’expliquais pas que dans les siècles derniers on se servît encore de pareils supplices.
– Aussi, ces oubliettes, n’ont-elles jamais servi qu’une fois.
– Comment cela ?
– Elles ont servi de refuge aux conspirateurs des Poudres.
– J’ai entendu parler, en effet, de cette conspiration, mais vaguement.
– Oh ! dit sir Robert M…, c’est une longue et nébuleuse histoire, que je n’entreprendrai pas de vous raconter. Mais nous pouvons commencer par les oubliettes notre visite de Newgate.
– Pourquoi par les oubliettes ?
– Parce qu’elles ne sont pas dans l’intérieur de la prison proprement dite.
– Ah !
– Elles sont sous nos pieds.
– Là ?
– Oui, dit sir Robert, dans mon propre logement.
– En vérité !
– J’ai, pour mes besoins particuliers, une cave, dit sir Robert.
– Et c’est dans cette cave… ?
– … Que s’ouvrent les deux oubliettes dont je vous parle. Seulement, de peur qu’un domestique maladroit ne vînt à y tomber, on a construit une margelle à l’entour, comme on fait pour un puits.
– Du reste, dit Marmouset, une oubliette n’est autre chose qu’un puits.
– Celles-là ont soixante-dix pieds de profondeur. On peut y descendre avec une corde. J’y suis descendu une fois, moi qui vous parle.
– Et qu’avez-vous vu, une fois en bas ?
– L’entrée d’un des souterrains creusés au temps de la conspiration des Poudres.
– Diable ! dit Marmouset en riant, mais alors, on peut s’évader de Newgate !
Sir Robert tressaillit.
– Ah ! non, dit-il ; d’abord ces oubliettes sont sous mon logis et non sous la prison.
Ensuite, ce souterrain est muré.
– Ah ! c’est différent.
– J’ai eu même un jour une singulière fantaisie, moi qui vous parle.
– Ah ! vraiment !
– Je suis descendu avec un maçon et j’ai voulu lui faire démolir le mur construit à l’entrée du souterrain.
– Et il n’a pu en venir à bout ?
– Au contraire. Seulement, derrière le mur, nous avons trouvé une porte.
Marmouset tressaillit à son tour.
– Une porte en fer, continua sir Robert M…, que jamais nous n’avons pu ni ébranler, ni jeter bas, ni ouvrir.
– Vous n’avez pas fait venir un serrurier ?
– J’en ai fait venir six.
– Et ils n’ont pu forcer la serrure ?
– Ils n’ont même pas trouvé la serrure.
– Après, qu’avez-vous fait ?
– J’y ai renoncé et me suis contenté de faire reconstruire le mur, tel qu’il était auparavant.
– Alors, on ne voit plus la porte ?
– Si, j’ai fait laisser un trou d’un pied carré dans le mur.
– Dans quel but ?
– Dans le but unique de constater l’existence de cette porte.
– Eh bien ! dit Marmouset, commençons alors, si vous le voulez, par les oubliettes.
– Comme vous voudrez, dit sir Robert M…
Un quart d’heure après, sir Robert M…, précédé par deux gardiens, qui portaient des flambeaux, faisait à ses hôtes les honneurs des caves de Newgate.
Marmouset disait tout bas à Vanda :
– J’aime autant que vous ne voyiez pas l’homme gris.
– Pourquoi ?
– J’aurais peur que vous n’éprouviez une émotion qui vous trahit.
– Bah ! dit Vanda, je suis forte, quand il le faut. Tu verras, ce soir.
– Et, s’il allait se trahir, lui !
Vanda secoua la tête.
– Non, dit-elle, ce n’est plus moi qu’il aime.
Et elle ajouta, avec un sourire résigné :
– C’est miss Ellen.
Les caves de Newgate n’avaient rien de curieux. Un plancher recouvrait l’orifice des oubliettes.
– Quelle est celle au pied de laquelle on trouve la porte ? demanda Marmouset.
– Celle-ci, dit sir Robert M…, voulez-vous y descendre ?
– Oh ! pas moi, fit Vanda.
– Mais moi, j’y descendrai, dit Marmouset.
Et sir Robert donna l’ordre à l’un des gardiens de fixer à un anneau de fer scellé dans la margelle une échelle de corde qui se trouvait dans la cave.