Marmouset reconduisit miss Ellen.
Puis il revint dans Old Bailey.
Milon était fort anxieux, car il n’avait pas vu Marmouset depuis la veille, c’est-à-dire depuis que celui-ci avait pu causer avec Rocambole et prendre ses ordres.
Marmouset lui dit :
– Nous n’avons pas le temps de flâner maintenant, il faut agir et promptement.
– Je crois que les fénians se remuent depuis quelques heures, répondit Milon.
– Ah !
– Cette nuit, à plusieurs reprises, j’ai vu des Irlandais en haillons rôder autour de Newgate.
– Eh bien ! dit Marmouset, s’ils veulent sauver l’homme gris, qu’ils le sauvent tout de suite.
– Pourquoi ?
– Mais parce que nous le sauverons la nuit prochaine et malgré lui.
– Comment, malgré lui ?
– Oui ! fit Marmouset avec un sourire. Le maître a une toquade, il veut que les fénians aient la bosse de la reconnaissance. Il veut être sauvé par eux.
– Tonnerre ! dit Milon en serrant ses poings, que veut-il donc que nous soyons venus faire à Londres, alors ?
– Tu sais qu’on le juge demain !
Milon frissonna.
– Mais demain nous serons en route pour la France, ajouta Marmouset. As-tu vu le capitaine du steamer ?
– Oui ! il est tout prêt.
– Tu le reverras ce soir, entre quatre et cinq heures et tu l’avertiras qu’une jeune dame se présentera à son bord.
– Miss Ellen ?
– Naturellement.
– À quelle heure !
– À minuit. Et à partir de ce moment, il devra se tenir sous petite vapeur auprès de Temple-Bar et tout prêt à partir aussitôt que nous serons embarqués.
– Mais, dit Milon, êtes-vous bien sûr, maintenant que nous pourrons réussir cette nuit ?
– Incontestablement. Descendons dans le souterrain et emmenons avec nous William qui est fort comme un Turc.
– Allons, dit Milon, qui alluma la lanterne.
Les autres compagnons de Marmouset, bien qu’ils n’eussent pas entendu les paroles qu’il échangeait à voix basse avec Milon, comprenaient que l’heure était solennelle, et aucun d’eux ne fit la moindre question.
Milon fit un signe au matelot William.
William le suivit sans objection.
Quand ils furent dans la cave, Marmouset y prit un marteau.
Puis ils continuèrent leur chemin à travers ce souterrain qu’ils avaient si péniblement déblayé la veille et l’avant-veille, et ils arrivèrent ainsi jusqu’à cette dernière porte de fer derrière laquelle Polyte avait entendu fort distinctement les trois coups frappés par Marmouset.
Alors Marmouset prit le marteau, et en quelques coups il eut ouvert la porte.
Alors apparut le mur de brique, et dans ce mur le trou que sir Robert M… avait ménagé pour que, du fond de l’oubliette, on pût, une lampe à la main, admirer le travail de cette porte qu’il n’avait jamais pu ouvrir.
– Tu n’es pas un maçon pour rien, dit alors Marmouset à Milon. Que penses-tu de ce mur ?
– D’abord, qu’il est très mince.
– Et qu’on peut le démolir facilement ?
– Il n’y a pas besoin de le démolir. Vous allez voir…
Et Milon donna un coup d’épaule dans la cloison de brique qui trembla.
– Attends, dit William, je vais t’aider.
Et à son tour il se rua sur la cloison, arc-boutant ses pieds énormes contre les montants en pierre qui encadraient la porte.
Ce fut l’histoire d’une seconde.
Le mur s’écroula. Le chemin de l’oubliette était ouvert. Marmouset y pénétra encore le premier.
– Regarde bien où nous sommes, dit-il.
– Pardi ! répondit Milon, nous sommes dans un puits.
– Mais ce puits a un orifice.
– Cela va sans dire.
– Et il a six mètres de profondeur.
– Bon !
– Il faut donc trouver une échelle de six mètres.
– L’échelle est facile à trouver, dit Milon, mais… il y a une difficulté, néanmoins.
– Laquelle ?
– Comment la dresser ? Nous n’avons pas assez de place entre cette brèche que nous venons de faire et le pavé du puits.
– J’ai prévu l’objection.
– Ah !
– Et j’ai commandé dans Osborn-street, à un charpentier, une échelle qui se démonte en cinq morceaux.
– C’est différent.
– Tu poses ton premier morceau. Arrivé au dernier échelon, tu ajoutes le second tronçon qu’on te passe ; puis le troisième.
– Compris, dit Milon.
– À présent, poursuivit Marmouset, qui parlait en anglais pour être mieux compris de William, écoutez-moi bien.
– Parlez, dit Milon.
– Tu iras chercher l’échelle ce soir.
– Bon !
– À onze heures vous descendrez tous ici. Vous serez armés d’un poignard et d’un revolver.
– Et la petite femme ?
– Vous l’amènerez ici, et elle attendra.
L’échelle dressée, tu monteras le premier, et les autres te suivront.
– Fort bien.
– Quand vous serez en haut, vous vous trouverez dans une cave.
Elle est fermée à clef, mais la Mort-des-Braves a été serrurier, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Il fera sauter la serrure. La porte ouverte, vous trouverez un escalier, vous le gravirez et vous vous trouverez dans la cuisine du gouverneur. Vous n’y rencontrerez qu’une servante, renversez-la à terre et bâillonnez-la.
La cuisine est voisine de la salle à manger ; vous pénétrez dans cette pièce.
– Et puis ?
– Et là vous entendrez un bruit de voix à travers une porte ; alors vous attendrez.
– Quoi donc ?
– Un signal que je vous donnerai en temps et lieu.
– Et si nous rencontrons d’autres personnes que les servantes ?
– S’il le faut, vous tuerez, dit froidement Marmouset, mais pas avec vos revolvers, avec vos poignards.
– C’est l’arme vraie, dit Milon ; le revolver est un bavard qui fait souvent plus de bruit que de besogne.
– Vous avez bien compris, n’est-ce pas ?
– Parfaitement, dit William.
– Admirablement compris, répéta Milon.
– Eh bien ! dit Marmouset, tu iras chercher l’échelle et tu feras la leçon aux autres.