Miss Ellen n’avait pas revu Marmouset depuis le matin.
Mais, en la quittant, le jeune homme lui avait dit :
– Je vous répète que nous sauverons le maître malgré lui, et cela la nuit prochaine.
– Que dois-je donc faire, moi, d’ici là ? avait demandé la jeune fille.
– Attendre.
– J’attendrai.
– Ce soir, vers huit heures, avait ajouté Marmouset, Milon viendra vous chercher.
– Et je le suivrai ?
– Oui.
– Où me conduira-t-il ?
– À bord d’un steamer qui chauffe sur la Tamise.
Miss Ellen avait eu un battement de cœur.
– Et ce steamer, ajouta Marmouset, nous conduira tous en France.
Et miss Ellen avait attendu.
Le soir, en effet, elle avait vu venir Milon à l’heure indiquée.
Milon était joyeux.
– Ah ! miss, lui dit-il, tandis que la jeune fille s’appuyait sur son bras et qu’ils parcouraient les rues désertes de la Cité, nous n’avons plus besoin des fénians à présent, et j’en suis joliment content.
– En vérité ! dit-elle.
– J’aurais été un peu humilié que le maître fût délivré par d’autres que par nous, continua Milon.
– Qui sait ? fit miss Ellen, les fénians travaillent de leur côté, ce n’est pas douteux… et ils arriveront peut-être avant nous.
– Oh ! pour ça, non.
– Qu’importe, dit-elle avec un accent de dévouement et d’amour, qu’importe que ce soit vous ou eux, pourvu qu’il soit libre enfin ?
– Nous avons notre petit amour-propre, dit le bon Milon.
Miss Ellen eut un sourire mélancolique.
– Pensez-vous, dit-elle, que je n’ai pas mon orgueil, moi ?
– Cela est certain, miss Ellen.
– Eh bien ! cet orgueil, je vous l’ai sacrifié.
Et comme Milon la regardait avec étonnement, miss Ellen continua :
– Les fénians travaillent à je ne sais quel plan mystérieux ; vous autres, poursuivit miss Ellen, vous avez creusé un souterrain.
Moi seule, je n’ai rien fait encore ; mais que les fénians échouent, que votre plan avorte, et c’est moi qui alors le sauverai.
– Vous ! dit Milon d’un air de doute.
– Je me nomme miss Ellen Palmure, dit la jeune fille, je suis la fille d’un pair d’Angleterre, et je saurai bien, s’il le faut, aller me jeter aux pieds de la reine et obtenir la grâce de celui a qui j’ai donné ma vie et mon cœur tout entier.
Ses yeux brillaient d’un sombre enthousiasme tandis qu’elle parlait ainsi.
– Mais nous n’aurons pas besoin de cela, dit Milon.
Miss Ellen, je vous le répète, dans quelques heures le maître sera parmi nous.
– Dieu vous entende ! murmura la jeune fille.
Et ils continuèrent à marcher.
Ils arrivèrent ainsi au bas de Sermon Lane et suivirent le bord de la Tamise.
Le brouillard avait reconquis son domaine et le fleuve avait disparu sous sa couche épaisse.
Mais on entendait le clapotis des flots qui rongeaient, la rive en passant, et un plus loin, la respiration haletante d’une machine à vapeur.
C’était le steamer qui chauffait.
Milon mit deux doigts sur sa bouche et fit entendra un coup de sifflet.
– Attendons, dit-il.
Peu après, miss Ellen entendit un bruit d’avirons qui battaient l’eau et semblaient s’approcher du bord.
Puis, quelques secondes s’écoulèrent et, perçant le brouillard, une barque vint heurter le bord et fit jaillir un flot d’écume autour d’elle.
Alors Milon dit à l’homme qui se dressa du fond de la barque :
– Viens-tu du Shocking !
– Yes ! répondit le matelot.
– Embarquez, miss Ellen, dit Milon.
Et il fit monter la jeune fille dans la barque.
Puis il ajouta :
– C’est Marmouset qui a baptisé le steamer : il se nomme Shocking. Le capitaine est un ami de William. Il nous est dévoué.
Le matelot qui conduisait l’embarcation poussa au large, et miss Ellen vit bientôt le steamer se détacher en noir sur le fond rouge du brouillard.
Dix minutes après, elle était à bord.
– À bientôt, miss Ellen, lui dit Milon ; il est huit heures, à minuit nous serons tous réunis.
Et il redescendit dans la barque et dit au matelot :
– Mets-moi sous le pont de Waterloo.
La barque remonta la Tamise à force de rames et eut bientôt abordé à l’endroit indiqué par Milon.
Alors celui-ci sauta à terre et remonta vers le Strand.
Il appela un cab qui passait à vide, sauta dedans et se fit conduire dans Osborn street.
C’était là qu’était le charpentier que lui avait indiqué Marmouset et qui avait construit l’échelle se démontant en quatre morceaux.
Et une heure après, muni de l’échelle, Milon était de retour dans Old Bailey.