XXXII

Marmouset entra.

Il avait aux lèvres une sorte de sourire qui n’annonçait rien de bon.

On vient facilement à bout d’un homme irrité, mais un homme calme et parfaitement maître de lui, c’est une autre affaire.

Sir Robert M…, rouge comme un coquelicot et la sueur au front, lui offrit un siège.

Puis, espérant l’attendrir, il lui présenta mistress Robert, sa femme, et ses deux filles, Lucy et Mary.

– Mon cher monsieur, dit Marmouset, vous avez sans nul doute deviné le motif de ma visite.

– Mais, dit sir Robert, je ne sais pas… je suppose… enfin… parlez, gentleman.

– Cher monsieur, poursuivit Marmouset, je viens de chez le solicitor Staggs, lequel, vous le savez, est le plus habile solicitor de Londres.

À ce nom, sir Robert M… se prit à frissonner.

M. Staggs était bien connu à Londres.

C’était le plus charmant des gens de loi, le plus habile, le plus retors, le plus tenace.

Quand M. Staggs tenait un homme, c’était un homme perdu.

Sa fortune, sa considération y passaient.

« Dieu vous garde d’être jamais traîné en justice par Staggs ! » disait le peuple de Londres.

Sir Robert M… se sentit défaillir.

– J’ai confié mon affaire à M. Staggs, dit Marmouset, il la trouve excellente.

Sir Robert M…, plus mort que vif, épongeait la sueur qui coulait de son front.

Quant à sa femme et à ses deux filles, elles s’étaient retirées dans l’embrasure d’une fenêtre et y pleuraient silencieusement, depuis qu’elles avaient entendu ce terrible nom de Staggs.

Marmouset poursuivit :

– M. Staggs trouve donc mon affaire excellente. Il est d’avis de vous traduire, non pas devant le jury, qui se bornerait à m’accorder une grosse indemnité…

– Que veut-il donc faire ? demanda sir Robert éperdu.

– Il veut vous traduire devant le banc de la reine.

– Juste ciel !

Et sir Robert M… joignit les mains et leva les yeux au ciel.

– M. Staggs prétend – et vous m’accorderez qu’il s’y connaît – que le banc de la reine, non seulement vous condamnera à vingt-cinq ou trente mille livres sterling d’indemnité, mais encore qu’il prononcera votre destitution de gouverneur de Newgate.

Cette fois sir Robert M… oublia toute dignité. Il tomba aux genoux de Marmouset.

– Monsieur, lui dit-il, je sais que je vous ai gravement offensé et que votre colère est juste ; mais si vous n’avez pitié de moi, prenez au moins pitié de ma pauvre femme et de mes malheureux enfants.

– Hélas ! monsieur, dit Marmouset, je ne suis point aussi féroce que M. Staggs, mais cependant vous avouerez qu’il est fort dur pour un galant homme, pour un parfait gentleman qui vient à Londres par pure fantaisie, d’être arrêté, emprisonné, jeté dans un cachot, maltraité par des guichetiers ignorants.

– Tout ce que vous dites là est vrai, murmura sir Robert, qui versait des larmes de crocodile.

– Et vous conviendrez que j’ai droit à une réparation ?

– Oh ! certainement, pleura sir Robert.

– Vous pensez bien que je vous suis venu voir sans en parler à M. Staggs.

– Ah ! vous avez bien fait, monsieur. C’est un homme sans entrailles, ce Staggs. Il vous en eût empêché.

– Cela est certain.

– Et je n’aurais pas pu vous montrer ma pauvre femme et mes malheureux enfants, continua sir Robert, qui espérait toujours attendrir Marmouset.

– Mais enfin, cher monsieur, dit celui-ci, vous conviendrez que j’ai droit à une réparation ?

– Oh ! certainement.

– Et je ne demande pas mieux que de m’arranger à l’amiable.

Sir Robert respira plus librement.

– Voyons, continua Marmouset, quelle est la réparation que vous m’offrez ?

Sir Robert soupira ; mais il parut faire un violent, un suprême et douloureux effort.

– Je ne suis pas riche, dit-il.

– Mais enfin ?…

– Et si je vous donne cinq mille livres, c’est tout ce que je possède. Vous emporterez la dot de ma pauvre fille, monsieur.

Marmouset se mit à rire.

– Mais cinq mille livres sterling, dit-il, c’est cent vingt-cinq mille francs ?

– Oui, monsieur.

– Écrivez à Paris et demandez le chiffre de ma fortune, on vous dira que j’ai trois cent mille livres de rente.

– Oh ! monsieur, dit alors mistress Robert, qui intervint et joignit les mains, vous êtes très riche et vous voulez ruiner des malheureux comme nous ?

– Il le faudra bien, madame ! répondit Marmouset, si l’honorable sir Robert ne veut pas m’offrir la réparation que je lui demande.

– Mais je vous offre toute ma fortune, monsieur, dit sir Robert avec un sanglot.

– Et, dit Marmouset, si je voulais une réparation morale ?

Sir Robert jeta un cri.

– Ah ! monsieur, dit-il, je savais bien qu’un parfait gentleman comme vous ne devait pas être âpre à l’argent comme un homme de loi.

– Cela dépend.

– Dites, monsieur, poursuivis sir Robert, que désirez-vous ? parlez… voulez-vous que je vous écrive une lettre d’excuse dans le Times ?

– Non.

– Que je vous fasse des excuses publiquement devant tout le personnel de la prison ?

– Non, dit encore Marmouset.

– Qu’exigez-vous donc, mon Dieu ? exclama sir Robert, qui fut pris d’une épouvante nouvelle.

– Monsieur, dit Marmouset, je ne suis pas Anglais, mais je suis excentrique.

– Ah !

– Et j’ai la plus singulière des fantaisies.

– Parlez, monsieur, parlez !

– Depuis qu’on est venu m’arrêter dans mon hôtel des Trois-Couronnes, je ne me trouve plus en sûreté dans Londres.

– Oh ! monsieur.

– Ma femme, car j’ai une femme, monsieur, a les mêmes terreurs que moi.

– Voulez-vous que je demande pour vous une escorte de policemen ?

– Non, dit Marmouset. Je veux une chose bien plus simple.

– Ah ! vraiment !

– Je veux que vous nous preniez en pension, ma femme et moi.

– Ici ?

– Sans doute.

Sir Robert M… recula stupéfait.

– Oh ! acheva Marmouset, ma femme est une femme du meilleur monde ; elle est bonne musicienne et je suis persuadé que ces demoiselles seront enchantées de l’avoir pour compagne pendant huit jours.

– Mais elle s’ennuiera horriblement ici ! monsieur. Nous sommes dans une prison ! observa mistress Robert.

– Il lui sera loisible de sortir pendant le jour, je suppose ?

– Oh ! certainement.

– Elle n’a peur que la nuit.

Sir Robert et sa femme se regardaient comme des gens qui ont couru un immense danger et s’aperçoivent qu’ils en sont quittes pour la peur.

– Mais avec le plus grand plaisir ! s’écria sir Robert M…

Le front de Marmouset s’éclaira.

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