Comme on le pense bien, Marmouset n’avait pas passé la nuit dans son lit.
Personne même ne s’était couché dans la boutique d’épiceries d’Old Bailey.
À six heures, Milon avait fermé sa devanture.
La Cité reste déserte à partir de cette heure.
À l’exception des concierges de ces ruches gigantesques appelées des maisons à bureaux et des policemen qui veillent toute la nuit, il ne reste personne dans ce quartier qui, pendant le jour, est le plus populeux de Londres.
Aussi, trouve-t-on parfaitement naturel que le petit commerce de détail imite le grand commerce et ferme ses portes.
La boutique close, Marmouset harangua ses compagnons.
Il y avait là cinq hommes déterminés et une femme.
Pauline, car c’était elle, eut pour mission de demeurer dans la boutique sans lumière, d’écouter le moindre bruit, de monter au premier étage et de regarder discrètement derrière les jalousies, si elle entendait quelque rumeur insolite.
Auquel cas elle descendrait dans la cave.
Milon est Marmouset montrèrent eux-mêmes le chemin.
Ils descendirent dans la cave et se munirent de tous les outils préparés par Milon.
Puis ils passèrent dans le caveau, entrèrent dans la galerie et ne s’arrêtèrent qu’à cette salle circulaire où trois souterrains aboutissaient.
Marmouset avait planté un pieu dans la première cave et après ce pieu il avait attaché le bout d’un peloton de ficelle.
Puis, à mesure qu’il marchait, il déroulait le peloton.
Milon, qui croyait toujours comprendre et ne comprenait jamais, dit alors :
– Ah ! je sais ce que c’est.
– Tu crois ?
– Oui, c’est comme à Rome… dans les Catacombes… si on n’a pas un bout de fil, on se perd.
– Eh bien ! tu n’y es pas, dit Marmouset.
– Mais…
– Tu n’y es pas. Voilà tout.
– Alors ?
– Je te l’expliquerai plus tard…
Milon avait coutume de respecter les réticences de l’élève de Rocambole.
Il s’inclina.
On avança ainsi jusqu’à cet éboulement qui les avait arrêtés quelques heures auparavant.
– Allons ! mes enfants, dit Marmouset, à l’œuvre ! et ne perdons pas de temps.
Les terres éboulées étaient friables et faciles à entamer.
La Mort-des-Braves, qu’on avait longtemps employé à des ouvrages de terrassement à Paris, attaqua l’éboulement le premier.
– Bah ! dit-il au troisième coup de pioche, à moins qu’il n’y en ait une lieue comme ça, nous n’en aurons pas pour longtemps.
Mais il y en avait long, par exemple.
Comme ils ne pouvaient traverser que deux de front, ils se relayaient de quart d’heure en quart d’heure.
D’heure en heure, Marmouset quittait son compagnon et remontait dans la boutique.
La petite Pauline, toujours aux aguets, n’avait rien signalé d’extraordinaire.
Enfin, après quatre heures d’un travail opiniâtre, on trouva l’autre côté du souterrain.
Les compagnons de Rocambole poussèrent un cri de joie ; mais Milon, essuyant la sueur qui découlait de son front, secoua la tête et murmura :
– Si nous en trouvons encore beaucoup comme ça, nous en aurons pour huit jours.
Et il regarda Marmouset.
Marmouset était calme.
– Tiens cela, dit-il à Milon.
Et il lui mit dans la main le peloton de fil.
Puis il fit signe à Polyte de prendre une des lanternes et de l’éclairer.
Milon ne comprenait pas.
Marmouset tira alors un mètre de sa poche, un mètre de charpentier ou de menuisier, et il l’ouvrit.
Milon ouvrit de grands yeux.
Marmouset se mit à mesurer le fil déjà tendu, s’éloignant de Milon, par conséquent, et retournant à petits pas dans la cave.
Alors le colosse regarda la Mort-des-Braves, son vieux compagnon.
– Ah ! mon pauvre ami, dit-il, je n’ai vraiment pas de chance. Voici que Marmouset me traite absolument comme me traiterait le maître. Il a toujours l’air de me dire que je suis une bête !
Et le bon Milon soupira.
Il faut dire, du reste, que les autres n’avaient pas compris davantage.
Polyte lui-même, qui cependant était un gamin de Paris, ne comprit qu’à moitié ; car, lorsqu’ils furent descendus dans la première cave, il dit :
– Vous voulez vous rendre compte du chemin que nous avons fait ?
– Oui, d’abord !
– Et puis ?
– Et puis, tu vas voir !
Marmouset s’assit sur une futaille.
– J’ai compté six cent dix-huit mètres, dit-il.
– Bon !
– Nous allons remonter dans la boutique. Il doit y avoir de la ficelle encore.
– Parbleu ! répondit Polyte. Un épicier, ça vend de tout.
Ils remontèrent à bas bruit.
Alors l’étonnement de Polyte fut presque aussi grand que celui de Milon, lorsque, ayant posé sa lanterne sur le comptoir et ayant apporté un autre peloton de ficelle à Marmouset, il vit celui-ci mesurer soixante-dix-huit mètres de ficelle et couper au soixante-dix-huitième.
– Maintenant, nous allons voir, dit Marmouset.
Et il éteignit la lanterne et tous trois se retrouvèrent dans l’obscurité.
Le silence le plus profond régnait dans Old Bailey.
Marmouset entr’ouvrit la porte basse pratiquée dans la devanture.
Puis il prêta l’oreille.
En ce moment on entendit retentir dans le lointain un pas lent et mesuré.
– C’est le watchman, dit Marmouset.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? fit Polyte.
– Le gardien de nuit de chaque quartier.
Et il repoussa doucement la petite porte et attendit.
Le pas approcha, puis il passa devant la boutique, puis s’éloigna, descendant vers Fleet street.
– Vite ! dit Marmouset, nous avons cinq minutes devant nous avant qu’il revienne.
C’est plus qu’il ne nous en faut !
Polyte, qui n’aurait pas été un gamin de Paris s’il n’avait pas eu le mot pour rire, dit alors :
– J’ai vu bien des mélodrames, au boulevard, mais aucun qui eût autant de ficelles que celui-ci.