Chapitre premier

La nouvelle du licenciement des régiments libyens se répandit bientôt à Pi-Bast. On racontait que les soldats renvoyés par les prêtres pillaient et volaient tout sur leur passage. Les villes de Pimat et de Kasa avaient été détruites, une caravane revenant à Memphis attaquée. Toute la partie occidentale de l’Égypte se trouvait menacée et ses habitants fuyaient vers l’Est en proie à la panique. Le bruit courait que le chef libyen Musavassa avait décrété la guerre sainte contre l’Égypte.

Cependant, les autorités égyptiennes demeuraient inactives car aucun ordre n’était parvenu de Memphis. Ramsès assistait, impuissant, à l’inquiétude de la population et à l’indifférence des dignitaires de Pi-Bast. Le manque de directives en provenance de la capitale l’irritait au plus haut point, de même que l’apparente désinvolture de Méfrès et de Mentésuphis face à un péril aussi considérable.

Les deux prêtres semblaient l’ignorer et même l’éviter, et Ramsès se trouvait réduit à l’inaction. Il avait même cessé de rendre visite à ses soldats cantonnés à Pi-Bast et il passait ses journées et ses nuits à boire et à s’amuser avec les jeunes nobles de son entourage. Au fond de lui-même, il s’efforçait de faire taire son indignation contre les prêtres et ses craintes quant au sort du pays.

– Tu verras ! dit-il un jour à Tutmosis. Tu verras que les saints pères nous conduiront à notre perte ! Musavassa s’emparera de la Basse-Égypte et nous devrons fuir à Thèbes, à moins que les Éthiopiens ne nous chassent de là aussi…

– Oui, réellement, nos maîtres se comportent en traîtres ! répondit Tutmosis.

Au début de septembre, un grand banquet se déroula au palais. Il avait commencé à deux heures de l’après-midi et déjà avant le soir tous les convives étaient ivres. Hommes et femmes se roulaient sur le sol trempé de vin et couvert de débris de vaisselle. Ramsès était resté relativement lucide ; il n’était pas encore couché, mais se tenait assis dans son fauteuil, avec deux danseuses sur ses genoux ; l’une lui versait à boire, l’autre le couvrait de parfums précieux.

À ce moment, un officier entra dans la salle et, enjambant quelques convives ivres morts, il s’approcha du prince.

– Seigneur, dit-il, les archiprêtres Méfrès et Mentésuphis veulent te parler à l’instant même.

Ramsès écarta les deux femmes et, la tunique tachée de vin, le pas chancelant, il monta en titubant l’escalier qui conduisait à ses appartements. En le voyant, Méfrès et Mentésuphis s’entre-regardèrent.

– Que me voulez-vous ? demanda Ramsès en s’écroulant dans un fauteuil.

– Je ne sais si tu es en état de nous écouter, répondit Mentésuphis avec un air méprisant.

– Vous me croyez ivre, peut-être ? s’écria le prince. Ne craignez rien. Toute l’Égypte, en ce moment, est plongée dans une telle folie que ce sont les ivrognes qui gardent le plus de sagesse.

Le visage des prêtres s’assombrit. Mentésuphis commença :

– Tu sais sans doute, seigneur, que le pharaon et le Grand Conseil ont décidé de renvoyer vingt mille mercenaires ?

– En principe, je ne sais rien, coupa Ramsès. Vous n’avez pas daigné me consulter avant de prendre cette sage décision et vous ne m’avez même pas dit que quatre régiments ont déjà été dissous et que leurs hommes affamés pillent nos villes !

– Je crois comprendre que tu juges les ordres du pharaon ?… interrompit Mentésuphis.

– Non, pas ceux du pharaon ! cria le prince, mais ceux des traîtres qui, profitant de la maladie de mon père, abandonnent le pays aux Assyriens et aux Libyens !…

Les prêtres étaient abasourdis. Jamais encore un Égyptien n’avait prononcé de pareilles paroles.

– Nous reviendrons dans quelques heures, lorsque tu te seras calmé, dit Méfrès.

– Ce n’est pas la peine. Je sais ce qui se passe à la frontière occidentale. Ou plutôt ce sont mes cuisiniers, mes palefreniers et mes servantes qui le savent… Ne voudriez-vous pas, saints Pères, me mettre au courant, moi aussi ?

Mentésuphis prit un air indifférent et dit :

– Les Libyens se sont révoltés et s’apprêtent à attaquer l’Égypte.

– Ah oui ?

– Aussi, continuait Mentésuphis, le pharaon te charge de prendre en main le commandement des troupes de Basse-Égypte et de réprimer la révolte.

– Avez-vous un ordre écrit ?

Mentésuphis tendit au prince un parchemin couvert de sceaux.

– À partir de ce moment, je suis donc le commandement suprême et la plus haute autorité dans cette province ? demanda Ramsès.

– Oui.

– Je puis donc tenir avec vous un conseil de guerre ?

– Oui, et de toute urgence, dit Méfrès.

– Asseyez-vous.

Les prêtres s’assirent.

– J’ai besoin de savoir une chose : pourquoi a-t-on dissous les régiments libyens ?

– Et on en dissoudra d’autres, dit Mentésuphis, car le Grand Conseil veut se débarrasser de vingt mille soldats très coûteux, afin d’assurer au trésor royal quatre mille talents supplémentaires ; sinon, la cour du pharaon pourrait manquer d’argent…

– Ce que n’a pas à craindre le plus misérable des prêtres égyptiens ! interrompit le prince.

– Tu oublies, seigneur, qu’il n’est pas permis d’appeler un prêtre « misérable », répondit Mentésuphis. Si aucun d’eux ne risque la misère, il le doit à son mode de vie modeste.

– Mais alors, ce sont les statues qui boivent le vin que tous les jours on porte aux temples, et ce sont les statues aussi qui couvrent leurs femmes de bijoux ? ironisa le prince. Mais peu importe ! Je vous dis, moi, que ce n’est pas pour remplir le trésor royal que le Grand Conseil ouvre les frontières de l’Égypte à l’invasion !…

– Mais pourquoi ?

– Pour complaire au roi Assar. Puisque le pharaon a refusé d’abandonner la Phénicie aux Assyriens, vous cherchez à affaiblir le pays d’une autre façon ! Vous renvoyez des mercenaires pour susciter la guerre sur la frontière occidentale !

– Tes paroles nous étonnent ! s’écria Mentésuphis.

– Les ombres des pharaons s’étonneraient bien plus encore de savoir qu’un escroc chaldéen influe sur le sort de l’Égypte !

– Qui t’a parlé d’un Chaldéen ? demanda Mentésuphis.

Ramsès eut un sourire ironique.

– Je parle de Beroes… Si tu n’as jamais entendu parler de lui, adresse-toi à Méfrès, et si lui également a oublié, qu’il demande donc à Herhor et à Pentuer ! Voilà ce que sont les secrets de vos temples ! Un vagabond étranger, venu en Égypte comme un voleur, impose aux membres du Grand Conseil un traité plus déshonorant que celui que nous devrions signer après une défaite ! Ce vagabond est un espion à la solde du roi Assar, et nos savants se sont à ce point laissé séduire par lui que, le pharaon ayant refusé de livrer la Phénicie, ils renvoient des soldats et provoquent la guerre à l’Ouest !

Ramsès ne se dominait plus.

– Est-ce croyable ? continuait-il à crier. Alors que c’est le moment ou jamais de porter nos effectifs à trois cent mille hommes et de les faire marcher sur Ninive, ces pieux déments licencient vingt mille soldats et mettent le feu à leur propre maison !…

Méfrès était devenu livide en entendant ce terrible réquisitoire. Enfin, il prit la parole :

– Je ne sais, seigneur, à quelles sources tu as puisé tes informations, mais à supposer que tu aies raison et qu’un prêtre chaldéen ait incité le Grand Conseil à signer un traité pénible avec l’Assyrie, comment sais-tu si ce prêtre n’est pas un envoyé des dieux qui l’ont chargé de nous avertir des dangers qui menacent l’Égypte ?

– Depuis quand les Chaldéens vous inspirent-ils tellement confiance ? demanda le prince.

– Ils sont les frères aînés des prêtres égyptiens, dit Mentésuphis.

– Et le roi d’Assyrie le maître du pharaon, sans doute ? s’écria Ramsès.

– Ne blasphème pas ! coupa sèchement Méfrès. Tu remues là des secrets sacrés, ce qui s’est révélé dangereux pour de plus grands que toi !

– Soit, je ne les remuerai plus. Mais comment pouvez-vous reconnaître un Chaldéen envoyé des dieux d’un autre, espion d’Assar ?

– Par les miracles, répondit Méfrès. Si je voyais cette pièce se remplir d’esprits, si une force invisible te soulevait du sol, nous dirions que tu es l’instrument des dieux et nous t’obéirions.

Ramsès haussa les épaules et se mit à rire. Il se souvenait de ce que Tutmosis lui avait dit des pratiques religieuses de Méfrès. Aussi, dit-il sur un ton sarcastique :

– Du temps du roi Chéops, un archiprêtre voulut à tout prix se soulever dans les airs. À cet effet, il priait les dieux et ordonnait à ses subordonnés d’observer si une force invisible ne l’élevait pas dans l’air. Et, le croiriez-vous, saints Pères, depuis ce moment, il n’y eut plus de jour où les prêtres ne vissent pas leur supérieur planer au-dessus du sol… Oh ! De très peu… D’un doigt à peine… Mais, que t’arrive-t-il ? demanda-t-il soudain à Méfrès.

Effectivement, l’archiprêtre avait chancelé en entendant le récit de ses propres expériences et Mentésuphis dut le soutenir pour qu’il ne tombât pas.

Ramsès était ennuyé. Il fit boire le vieillard, lui frotta les tempes d’eau et agita au-dessus de lui un éventail. Bientôt, Méfrès revint à lui. Il se leva et dit à son confrère :

– Je pense que nous pouvons nous retirer ?

– Je le pense aussi, répondit Mentésuphis.

– Mais que dois-je faire, moi ? demanda le prince qui sentit qu’il avait été trop loin.

– Remplir tes devoirs de chef ! répondit Mentésuphis avec froideur.

Les deux archiprêtres s’en allèrent.

Ramsès avait retrouvé toute sa lucidité, et il se sentait mécontent de lui. Il comprenait qu’il venait de commettre deux lourdes fautes : il avait appris aux prêtres qu’il connaissait leurs secrets et, de plus, il avait cruellement raillé Méfrès. Il aurait maintenant donné un an de sa vie pour effacer de leur mémoire ces paroles d’ivrogne, mais il était trop tard. Il s’était fait des ennemis mortels et sentait tout le danger de sa situation. Il fit venir Tutmosis, qui arriva immédiatement, apparemment dégrisé.

– Nous sommes en guerre et je suis nommé généralissime ! dit l’héritier du trône.

Tutmosis se courba jusqu’au sol.

– Et je ne boirai plus jamais, ajouta le prince. Sais-tu pourquoi ?

– Un chef doit éviter la boisson, répondit Tutmosis.

– Je l’avais oublié et j’ai tout dit aux prêtres…

– Quoi, tout ? demanda Tutmosis, effrayé.

– Que je les déteste et que je me moque de leurs miracles…

– Cela ne fait rien. De toute façon, ils ne comptent sur la sympathie de personne.

– Je leur ai dit également que je connais leurs secrets politiques.

– Aïe ! s’exclama Tutmosis. Cela, c’était trop !

– Tant pis ! dit Ramsès. Envoie une estafette aux divers régiments afin que leurs chefs viennent demain pour un conseil de guerre. Fais allumer les signaux d’alarme, afin que toutes les troupes de Basse-Égypte se mettent en branle vers la frontière occidentale. Va aussi chez le gouverneur et dis-lui de s’occuper de rassembler des armes, des vêtements et des provisions.

– La traversée du Nil sera difficile, dit Tutmosis.

– C’est pourquoi fais réquisitionner toutes les embarcations qui se trouvent sur le fleuve, et quelles se tiennent prêtes à faire traverser les troupes !

Pendant ce temps, Méfrès et Mentésuphis rentraient chez eux. Lorsqu’ils furent seuls dans leur cellule, Méfrès s’écria :

– Jamais un pharaon n’a autant blasphémé qu’aujourd’hui l’a fait ce gamin !… Même un ennemi de l’Égypte n’oserait ainsi injurier les prêtres !

– Le vin dévoile la vraie nature de l’homme, dit Mentésuphis.

– Mais le prince a une âme de païen ! Il raille les miracles, ne croit pas aux dieux…

– Ce qui me donne surtout à réfléchir, dit sombrement Mentésuphis, c’est qu’il a appris nos conversations avec Beroes. Car il sait tout !

– Nous avons été trahis ! murmura Méfrès.

– C’est étrange, car vous n’étiez que quatre.

– Pas du tout. La prêtresse d’Iside, et trois prêtres qui l’ont guidé connaissaient la présence de Beroes ici.

– Même si l’un d’eux nous a écoutés, ce n’est pas à ce gamin qu’il aura vendu son secret, mais à quelqu’un de plus important. Là est le danger !

L’archiprêtre du temple de Ptha, Sem, entra dans la cellule.

– Je suis entré, car vous criez si fort que j’ai cru à un malheur. Que vous arrive-t-il ? demanda-t-il.

– Dis-moi ce que tu penses de l’héritier du trône ? demanda à son tour Mentésuphis.

– Je pense qu’il doit être content de son nouveau commandement, car c’est un héros-né. Il est capable de tailler en pièces les rebelles libyens.

– Il est aussi capable de raser tous nos temples ! s’écria Méfrès.

– Oui, renchérit Mentésuphis, tu ne peux imaginer tous les blasphèmes que nous l’avons entendu prononcer aujourd’hui !

– Je ne puis y croire ! s’exclama Sem.

– Il était soi-disant ivre, dit ironiquement Méfrès.

– Même ivre, je ne le crois pas capable de blasphémer.

– C’est ce que nous croyions nous aussi, dit Mentésuphis. Nous étions tellement sûrs de le bien connaître que, depuis son retour du temple de Hator, nous avons cessé de le surveiller.

– Oui, nous avons voulu faire l’économie de quelques espions, et voilà le résultat ! dit Méfrès.

– Mais qu’a-t-il dit exactement ? demanda Sem avec impatience.

– En deux mots, voici : Ramsès se moque des dieux…

– Est-ce possible ?

– Il critique les ordres du pharaon…

– Dieux !

– Il appelle traîtres les membres du Grand Conseil…

– Mais…

– Et il a appris la venue de Beroes et ses entretiens avec Méfrès, Herhor et Pentuer au temple de Set.

L’archiprêtre Sem se prit la tête dans les mains en signe de désespoir.

– Ce n’est pas possible ! s’écria-t-il. Ce n’est pas possible ! Quelqu’un a dû jeter un sort à Ramsès… Peut-être cette Phénicienne qu’il a arrachée au temple d’Astoreth ?

La remarque parut frapper Mentésuphis et il jeta un coup d’œil à Méfrès ; mais celui-ci, tout à son indignation, ne remarqua rien.

– Nous devons faire une enquête, dit-il, pour connaître l’emploi du temps du prince depuis son retour du temple de Hator. Il a eu trop de liberté et trop de relations avec les ennemis de l’Égypte. Et toi, Sem, tu nous aideras…

À la suite de cette discussion, l’archiprêtre Sem convoqua le peuple, dès le lendemain, à une cérémonie solennelle au temple de Ptah. Des hérauts appelaient les fidèles à grand renfort de flûtes et de trompettes et lui annonçaient que trois jours durant des prières seraient dites et que des processions défileraient à l’intention de la campagne entreprise contre les Libyens.

Du matin au soir, une foule considérable, composée de riches et de pauvres, d’aristocrates et de paysans, se massait aux abords du temple. Plusieurs fois par jour, une procession solennelle quittait le sanctuaire, portant l’effigie du dieu. La foule se prosternait alors et se confessait à haute voix, aidée dans son examen de conscience par des prêtres disséminés abondamment dans cette masse humaine. Les riches, eux, se confessaient individuellement, dans des cellules du temple. Les troupes partant vers l’Ouest passèrent et l’archiprêtre bénit leurs amulettes qui devaient les protéger des coups ennemis. La nuit, le tonnerre retentissait sur le temple et des éclairs jaillissaient des hauts pylônes ; cela signifiait que le dieu prêtait aux prêtres une oreille favorable.

À l’issue de ces cérémonies, Méfrès, Mentésuphis et Sem se réunirent en un conseil secret. La situation était désormais claire, les informateur dispersés dans la foule avaient recueilli les bruits suivants : les soldats disaient que, dès son avènement sur le trône, Ramsès ferait la guerre à l’Assyrie et en ramènerait des richesses considérables, dont chaque combattant aurait sa part ; le peuple murmurait que lorsque le pharaon vainqueur reviendrait de Ninive, il donnerait des esclaves à tous les paysans et supprimeraient les impôts pour plusieurs années ; les aristocrates, eux, pensaient qu’en premier lieu le nouveau pharaon reprendrait aux prêtres les biens hypothéqués par les nobles et les leur rendrait ; ils pensaient aussi que le futur pharaon régnerait seul, sans la participation du Grand Conseil des prêtres.

C’étaient là les informations que l’archiprêtre Sem et ses agents avaient recueillies. Méfrès et Mentésuphis, de leur côté, avaient appris un autre fait intéressant : le prêtre Osochor, qui avait accueilli le Chaldéen Beroes au temple de Set, dépensait depuis quelque temps des sommes considérables, hors de proportion avec ses revenus. C’est pourquoi, on pouvait le soupçonner d’avoir vendu aux Phéniciens, pour un prix élevé, le secret des conversations entre les prêtres égyptiens et l’envoyé du roi Assar.

L’archiprêtre Sem dit à cela :

– Si Beroes est vraiment un saint homme, demandez-lui si c’est Osochor qui a trahi.

– Nous l’avons déjà fait, répondit Méfrès, mais Beroes a refusé de répondre. Il a ajouté que ni l’Égypte ni la Chaldée ne pâtiront de cette trahison. Le coupable, si on le découvre, mérite donc l’indulgence.

– C’est vraiment un saint homme ! murmura Sem.

– Et que penses-tu, lui demanda Méfrès, que penses-tu des agissements de l’héritier du trône ?

– Je répondrai comme Beroes : le prince ne fait aucun tort à l’Égypte ; aussi faut-il être indulgent pour lui…

– Mais il raille les dieux et les miracles, il excite le peuple à la révolte !… Ce sont là des faits graves ! dit Méfrès avec rancœur.

Il ne pouvait pardonner à Ramsès d’avoir raillé de façon grossière ses pratiques religieuses.

Mais l’archiprêtre Sem aimait le prince et il dit avec un sourire :

– Quel est le paysan qui ne voudrait un esclave pour l’aider, ou qui ne souhaiterait ne plus payer d’impôts ? Y a-t-il un soldat qui ne rêve de ramener de la guerre mille drachmes ou même davantage ? Et les nobles, n’est-il pas normal qu’ils souhaitent que notre pouvoir diminue au profit du leur ?

– Certes, dit Méfrès, mais que veux-tu prouver par là ?

– Rien. Je voudrais simplement que vous ne mettiez pas le prince en accusation devant le Grand Conseil, car aucun tribunal ne le condamnera parce que les soldats veulent la guerre ou que les paysans parlent de suppression d’impôts. Vous seuls risquez un blâme pour n’avoir pas suffisamment surveillé Ramsès.

– Et les injures dont il nous a accablés, n’est-ce rien ? C’est un homme impie ! s’obstina Méfrès.

– Vous n’aviez pas à parler de choses importantes avec un homme ivre, répondit Sem ; d’ailleurs, vous avez commis une faute en nommant chef de l’armée un homme se trouvant dans cet état…

– Tu es la sagesse même, dit Méfrès ; cependant, je vote pour l’accusation devant le Grand Conseil !

– Et moi, je vote contre ! répliqua Sem avec énergie. Le Grand Conseil doit recevoir un rapport, mais non pas une accusation.

– Moi aussi, je suis contre l’accusation, dit Mentésuphis.

Se voyant seul contre deux, Méfrès céda, mais il garda à l’héritier du trône une profonde rancune. C’était un vieillard pieux mais méchant ; il avait une haute opinion de son rang de prêtre, et n’admettait pas qu’on lui manquât de respect.

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