Philippe et Théodule revenaient de l’auberge. Ils avaient assez bu pour oublier leur convention et marcher côte à côte, au risque d’exciter leurs femmes irritables.
– Je réfléchis, disait Philippe. Peut-être bien qu’elles vont nous laisser tranquilles, maintenant.
– Ça dépend, répondit Théodule.
– De quoi ? dit Philippe inquiet.
– Oh ! ça dépend, répéta Théodule.
Quel homme ! il mourrait dans le doute.
– Si nous nous quittions ? dit-il.
– Nous avons le temps, répondit Philippe. La nuit arrive sans lune et sans étoiles. Elles ne peuvent pas nous voir.
Ils se heurtaient doucement des épaules et jouissaient de faire durer quelques minutes de plus leur camaraderie défendue.
– Par exemple, reprit Philippe, si la mienne m’agace, je me charge de la tourner.
– Chut ! dit Théodule.
Et soudain, tous deux se baissèrent, et, comme des chiens d’arrêt qui sentent, s’avancèrent à petits pas, les bras écartés, les doigts ouverts.
– Halte ! dit Théodule, une main en nageoire sur la couture de sa culotte.
– Qu’est-ce qu’elles font donc ? dit Philippe.
– Du propre ! dit Théodule.
Rêvaient-ils ? Était-ce un effet de l’ombre ou de leur ivresse ? Immobiles et voûtés sur la route, ils se murmurèrent des exclamations diverses :
– Elle est raide !
– C’est plus fort que de jouer au bouchon.
– Les mâtines !
Mais au lieu de surgir, menaçants, de se précipiter hors des ténèbres, comme deux hommes solides sur deux femmes à battre, ils s’assirent, alourdis de surprise.
Devant eux, là, tout près, l’une avec une pioche, l’autre avec une barre à feu, pouffant quand des pierres résistaient, quand une crotte de mortier frais leur sautait au visage, parfois nez à nez et toujours cœur à cœur, la Morvande et la Gagnarde, pleines d’entrain, amies pour la vie, commençaient, fantastiques, de démolir le mur !