II Joie et douleur

Quand la jeune femme, que nous avons entendu appeler Marie Sorel, sortit de la maison du docteur Abel, se dirigeant vers la rue Taitbout pour prendre ensuite la rue Lafayette et gagner la rue de Chabrol où elle demeurait, elle ne s’aperçut pas qu’un jeune homme s’était mis à la suivre, gardant entre elle et lui une distance d’une vingtaine de pas, pas plus qu’elle n’avait remarqué, deux heures auparavant, que ce même jeune homme s’était attaché à ses pas lorsqu’elle était sortie de chez elle pour se rendre chez le docteur Abel.

Ce jeune homme pouvait avoir vingt-six ans ; il était grand, bien fait, de tournure élégante, avait la moustache et les cheveux châtain foncé, le front haut, de beaux yeux brillants, la figure agréable, avenante, sympathique. En un mot, c’était un joli garçon. Il n’avait pas la désinvolture, la crânerie du véritable Parisien ; son allure, son air, ses manières trahissaient le provincial. Il devait être riche, tout en lui l’indiquait : ses mains fines et blanches, son linge d’une irréprochable blancheur, le jonc à pomme d’or ciselé qu’il avait à la main et l’élégance de son costume, à la dernière mode, qui sortait certainement de chez un des meilleurs tailleurs de Paris. On devinait, toutefois, qu’il n’était pas encore bien initié aux raffinements de la vie parisienne et qu’il ne s’était jamais mêlé à ces jeunes gens oisifs, avides de jouissances, qui ne pensent qu’à s’amuser et n’attirent l’attention sur eux que par le bruit retentissant de leurs extravagances, de leurs folies.

Notre provincial, débarqué, depuis trois mois seulement à Paris, où il avait résolu de se fixer, se nommait André Clavière. Nous saurons bientôt pourquoi il avait quitté la petite ville bourguignonne où il était né, où il avait passé sa première jeunesse, pour venir, seul et inconnu, se jeter dans le fracas et au milieu des hasards de la grande ville.

À l’heure où nous le présentons au lecteur, marchant sur les pas de Marie Sorel, il paraissait en proie à une agitation violente ; de temps à autre il appuyait la main sur son cœur comme pour en comprimer les battements précipités. Il était très pâle ; son visage portait l’empreinte d’une grande tristesse, qui ne pouvait être que le reflet d’une profonde douleur contenue. Il avait la poitrine oppressée et peut-être s’efforçait-il à retenir ses larmes.

Le matin, dissimulé dans l’angle d’une porte cochère, il avait vu Marie Sorel sortir de la maison où elle demeurait et il l’avait suivie, comme il la suivait encore maintenant.

Oh ! ce n’était pas la première fois qu’il avait attendu la jeune fille dans la rue, la première fois qu’il l’avait suivie. Cela lui était arrivé souvent. Était-ce de l’espionnage ? Non, non. Il aimait, il adorait Marie ; mais Marie, qui avait été sa petite amie d’enfance, Marie ne l’aimait pas, peut-être même ne se souvenait-elle plus de lui, et il savait qu’elle en aimait un autre, et que cet autre était son amant.

Il avait bien des choses à lui dire, à sa chère Marie ; mais se présenter chez elle ! En avait-il le droit ? devait-il être aussi audacieux ? D’ailleurs, ne risquait-il pas d’y rencontrer l’autre ?

Il eût été plus facile de l’accoster dans la rue, elle l’aurait reconnu et n’aurait certainement pas refusé de l’entendre. En effet, c’était tout simple. Seulement, il était timide, timide à l’excès, comme le sont généralement ceux qui aiment véritablement.

Cent fois, s’encourageant, se donnant de la hardiesse, il avait été sur le point de se placer devant la jeune fille, de l’arrêter et de lui dire : « Marie, c’est moi, André Clavière, votre meilleur et plus fidèle ami ; il faut absolument que je vous parle, voulez-vous m’écouter ? » Mais au moment de l’exécution, toujours quelque chose le retenait. Eh bien, oui, il n’osait pas, il avait peur. Que pouvait-il avoir à craindre, de quoi avait-il peur ? Peut-être n’aurait-il pas su le dire exactement.

Il avait à faire à Marie une révélation grave, et il frémissait, son cœur se brisait en pensant que cette révélation causerait à la jeune fille une horrible douleur.

Et, en ce moment, n’ayant qu’à allonger le pas pour rejoindre Marie, la même crainte, la même angoisse qui l’avait constamment retenu, l’arrêtait encore.

Furieux contre lui, se mordant les lèvres, il se disait :

– Comme je suis faible, je n’ai ni force, ni courage !

Le matin, il avait remarqué que la jeune fille était préoccupée, songeuse et qu’il y avait de l’anxiété sur son visage et dans son regard. Il s’était aussitôt senti pris d’inquiétude.

Après l’avoir vue disparaître sous le porche du numéro 12 de la rue du Helder, il s’était dit :

– Où va-t-elle ? Qui donc connaît-elle dans cette maison ?

Puis il l’avait attendue avec la patience des amoureux, battant le trottoir de ses pieds et se livrant à toutes sortes de pensées contradictoires. Et comme l’attente fut longue, à chaque instant il murmurait :

– Mais que peut-elle donc faire là ?

Enfin elle reparut. Elle n’avait pas baissé sa voilette. Il fut frappé de l’expression joyeuse et gaie de sa physionomie. Quel contraste avec ce qu’il avait précédemment remarqué ! Qu’est-ce que cela signifiait ?

Le jeune homme se trouvait alors si près de Marie que si elle n’eût pas uniquement regardé en elle-même, elle l’aurait aperçu et reconnu. Mais elle ne faisait aucune attention à ce qui se passait autour d’elle, elle ne voyait rien.

Quant à lui, si grande envie qu’il eût d’accoster enfin la jeune fille, il se trouva, en lui voyant un air si heureux, plus timide et moins hardi que jamais.

Il la suivit de nouveau, comme nous l’avons dit, et quand il l’eut vue s’enfoncer dans l’allée de la maison où elle demeurait, il resta planté sur le trottoir comme un poteau, laissa échapper un profond soupir et se dit en lui-même, les mains sur sa poitrine :

– Pourtant il faut qu’elle sache qu’elle est odieusement et lâchement trompée, il faut qu’elle sache tout.

Pendant un instant il parut plein d’hésitation. Il savait que le logement de la jeune fille était au troisième étage. Monterait-il ou ne monterait-il pas chez elle ? Une fois de plus le courage lui manqua. Il poussa un nouveau soupir, jeta un regard douloureux sur la façade de la maison et s’éloigna lentement, le front songeur, l’âme en peine.

Marie Sorel était rentrée dans son petit appartement composé d’une chambre à coucher, d’un petit salon, d’une petite salle à manger et d’une cuisine. Le mobilier n’avait rien de recherché ; il ressemblait à ceux qu’on trouve ordinairement chez les petits rentiers ; mais c’était frais, coquet, luisant de propreté.

La jeune fille n’avait pas de bonne, elle faisait elle-même son ménage et préparait ses repas. Elle avait acheté le matin, avant de se rendre chez le docteur Abel, des radis, du beurre, des œufs frais et une côtelette de mouton. Mais bien que l’heure de midi fût sonnée, elle ne songea point à allumer son réchaud pour faire cuire les œufs et la côtelette. Ah ! elle avait bien autre chose à penser ! D’ailleurs elle n’avait pas faim, elle mangerait plus tard.

Elle avait jeté son mantelet et son chapeau sur son lit, était entrée dans le salon et s’était assise sur le canapé. Les lèvres souriantes, le regard rayonnant, heureuse et comme ravie, elle songeait.

– Il y a quatre jours que je ne l’ai pas vu, se disait-elle, il avait à faire un petit voyage ; mais il doit être revenu ce matin et, bien sûr, il va venir aujourd’hui, tout à l’heure ; oui, tout à l’heure, car, dans la journée, c’est toujours vers deux heures qu’il vient et il est près d’une heure.

Mon Dieu, va-t-il être content, heureux, quand je lui crierai, en lui sautant au cou : « Lucien, je vais être mère ! » Comme je ne lui ai jamais rien dit de mes doutes, quelle surprise ! D’abord il ne voudra pas me croire ; mais je lui dirai que je suis allée consulter le bon docteur Chevriot et alors… Oh ! alors, quelle joie ! Mais c’est pour lui plus encore que pour moi que je suis si heureuse. Les hommes ne savent pas ce que le cœur de la femme qui aime contient de dévouement, et jusqu’où elle peut aller dans le sacrifice.

Je me suis donnée à lui tout entière, sans réserve, je l’aimais ! Je n’ai jamais été exigeante ; souvent, au contraire, il m’a forcée d’accepter ce qu’il me donnait. J’ai souffert de cela, car j’aurais voulu ne pas être à sa charge ; bien des fois je me suis dit avec amertume : je suis une fille entretenue… Mais j’ai quitté mon magasin parce qu’il l’a absolument exigé. Je savais bien, hélas ! que j’étais dans une position fausse, que ceux qui me connaissent avaient le droit de me regarder avec dédain, avec mépris, que le monde pouvait me montrer au doigt. Que de fois n’ai-je pas senti sur mon front le rouge brûlant de la honte !

S’il m’avait donné son nom, c’eût été pour moi la tranquillité d’esprit, le bonheur suprême, ma gloire, et cependant je ne lui ai jamais demandé de m’épouser. C’est lui qui, un jour, dans un moment d’expansion, m’a dit, très ému : – « Marie, si tu me donnais un enfant, doux et précieux gage de notre amour, nous nous marierions. » Depuis, il m’a plusieurs fois répété ces paroles.

Eh bien, cet enfant, dans quelques mois il l’aura ; je le rendrai père… Sa femme, sa femme ! Relevée. Je pourrai donc ne plus courber la tête sous des regards moqueurs, je pourrai donc reconquérir l’estime des honnêtes gens et me réconcilier avec moi-même.

Cher petit être que je porte dans mon sein et qui fait tressaillir mes entrailles, c’est à lui que je dois cette joie immense que j’éprouve, à lui que je devrai ma réhabilitation, le bonheur sans mélange, complet, auquel j’aspire !

Oh ! comme je l’aime déjà ! Comme je vais l’aimer quand je l’aurai mis au monde !

Elle se leva, se promena un instant dans le petit salon, regarda la pendule, puis, se plaçant devant la glace :

– Oui, murmura-t-elle, je suis jolie, je suis belle ! C’est pour cela qu’il m’a remarquée, lui, qu’il m’a aimée. Ah ! pour la jeune fille pauvre, la beauté est rarement un don précieux ; elle l’expose à bien des dangers, et trop souvent, hélas ! la malheureuse fille est victime des moyens de séduction employés contre elle.

Aujourd’hui, je suis heureuse de ma beauté, j’en suis fière, et pourtant, un jour, elle a failli m’être fatale.

Elle eut comme un frisson, ses lèvres se crispèrent et de son regard jaillit un éclair sombre.

C’était le souvenir d’une mauvaise heure.

Et il y avait dans ce souvenir un drame terrible que nous raconterons plus tard.

L’impression produite s’effaça promptement ; elle passa la main sur son front et son beau visage reprit sa sérénité.

Un quart d’heure s’écoula encore.

Soudain, un bruit de pas résonna dans l’escalier.

Ce pas, elle le connaissait bien, car elle le reconnut aussitôt et s’écria :

– C’est lui !

Elle courut à la porte qu’elle s’empressa d’ouvrir.

Un grand et beau jeune homme d’une trentaine d’années se trouva devant elle.

C’était bien l’homme qu’elle attendait. Mais tout interdite, stupéfaite, elle le regardait avec effarement.

C’est qu’il n’avait plus sa figure des autres jours.

Il était grave et froid, avait l’air soucieux, la bouche sévère.

Au lieu de se jeter à son cou, comme elle s’était préparée à le faire, son cœur se serra douloureusement, ses yeux se couvrirent d’un nuage, et devant cette froideur glaciale de celui qu’elle aimait, du père de son enfant, elle recula.

Il entra, en disant seulement :

– Bonjour, Marie.

Il referma la porte et pénétra dans le salon. Elle l’y suivit.

Ils restèrent un instant silencieux, en face l’un de l’autre, se regardant. Il était visiblement embarrassé. De grosses larmes roulaient dans les yeux de la jeune fille. Ce fut elle qui se décida à rompre le silence.

– Mon Dieu, Lucien, mais qu’as-tu donc ? s’écria-t-elle ; que signifie cet étrange accueil que tu me fais après quatre jours d’absence ?

– Je suis contrarié, répondit-il.

– Qu’est-ce qui te contrarie ?

– Je suis venu pour te le dire.

– Alors parle, parle !

– Il y a des choses bien ennuyeuses dans la vie, et ce qui m’arrive me fait sentir cruellement combien il est dur de ne pas s’appartenir, de dépendre des autres.

– Lucien, que veux-tu dire ?

– Que nous allons être séparés pour toujours.

Le visage de la jeune fille se couvrit d’une pâleur d’ambre.

– Séparés pour toujours, répéta-t-elle d’une voix creuse.

– Oui.

– Lucien, tu ne me dis pas la vérité.

– Malheureusement, la chose est réelle.

– Ah ! je comprends, s’écria-t-elle éperdue, tu veux me quitter, m’abandonner !

– J’y suis forcé.

– Oh ! forcé ! Dis donc franchement que tu as assez de moi, que je te suis une chaîne dont tu tiens à te délivrer.

– Tu as tort de prendre la chose ainsi ; je te le répète, je te quitte parce que j’y suis forcé.

Elle secoua la tête, elle ne le croyait pas ; son instinct de femme lui faisait deviner qu’il mentait.

– Je suis rentré à Paris ce matin, continua-t-il, et à neuf heures je me suis rendu à mon bureau. Aussitôt mon directeur m’a fait appeler et m’a annoncé que le conseil d’administration de la société m’avait nommé directeur de notre succursale à Saint-Pétersbourg et que je devais me préparer à partir ce soir même.

– Si belle qu’elle puisse être, il ne fallait pas accepter cette position.

– Je ne le pouvais pas, elle m’est imposée.

– Mais on ne t’impose pas de m’abandonner ; je te suivrai à Saint-Pétersbourg.

– C’est impossible.

– Impossible, pourquoi ?

Il resta un instant tout interloqué.

– Mais il y a le monde, balbutia-t-il ; en Russie, les mœurs sont autrement sévères qu’en France.

– Enfin, tu ne veux pas m’emmener.

Elle parlait péniblement, ayant un sanglot dans la gorge ; elle faisait de grands efforts pour ne pas laisser éclater son désespoir.

– Je viens de te dire que c’était impossible.

– Soit, fit-elle, voulant toujours paraître calme, mais tu m’écriras… souvent.

– À quoi bon, puisque nous ne devons plus nous revoir ?

– Ah ! répliqua-t-elle d’une voix presque éteinte, nous ne devons plus nous revoir… Ainsi, tout est fini entre nous !

– Oui, et c’est ce qu’il faut dans notre intérêt à tous deux. Il avait prononcé ces paroles si froidement, d’un ton si sec, qu’elle ne put s’empêcher de se dire :

– Il n’a pas de cœur.

Elle se rapprocha de lui, le regarda fixement, dans les yeux, et d’une voix tremblante, mais redevenue forte :

– Monsieur Lucien, dit-elle, vous ne m’aimez plus, je le vois, je le sens ; peut-être ne m’avez-vous jamais aimée. Il vous fallait une maîtresse, vous m’avez rencontrée, j’ai eu le malheur de ne pas fermer l’oreille à vos paroles séductrices et vous m’avez prise comme un amusement. Le jouet a cessé de vous plaire, vous le jetez de côté. Où sont-elles, vos chaleureuses protestations d’amour et toutes vos belles promesses ? Envolées, emportant mon bonheur avec mon innocence ! Pourquoi, monsieur, pourquoi, dites, ne m’avez-vous pas laissée où j’étais ? Ah ! c’est que les hommes ne se lassent jamais de faire des victimes. Qu’ils troublent l’existence d’une pauvre fille, qu’ils lui broient le cœur, qu’elle soit condamnée à souffrir toujours, qu’est-ce que cela leur fait, à eux, cela leur est bien égal ; ils ont satisfait un caprice, ils se sont amusés, c’est ce qu’ils voulaient. Quant à la malheureuse, elle deviendra ce qu’elle pourra. À l’hôpital, au ruisseau, dans la boue, la femme dont on ne veut plus ! Et ce sera sur elle que le monde criera haro !

Elle était haletante. Elle s’arrêta un instant pour respirer.

Il l’avait écoutée froidement, avec une impassibilité de marbre. Elle reprit :

– Vous ne m’aimez plus, monsieur, cela devait arriver ; voilà le châtiment de ma faute, je le subis. Mais l’ai-je bien mérité, ce châtiment ? Mais qu’importe, je dois me courber, écrasée ! Et dire que j’avais en vous une entière confiance ; pauvre crédule, j’étais folle, folle !… À ce moment, – il est bien temps, vraiment, – il y a quelque chose en mon cœur qui me dit que vous m’avez toujours menti, toujours trompée, comme vous essayez de le faire encore. Eh bien, non, vous ne me trompez pas, en ce moment : tout ce que vous venez de me dire est mensonge, je ne vous crois plus, je ne peux plus vous croire.

Pour m’abandonner il vous fallait une raison, un prétexte, vous l’avez trouvé, et je dois vous savoir gré d’avoir si bien su mentir. Au moins, ajouta-t-elle amèrement, vous y avez mis une certaine forme, vous avez compris que vous ne deviez pas employer quelque procédé que j’eusse pu considérer comme un outrage. Je dois donc vous remercier, monsieur, d’y avoir mis tant de délicatesse.

Elle s’arrêta, attendant une réplique. Il resta muet.

Elle reprit :

– Je n’ai pas à vous cacher que ma douleur est profonde, peut-être inguérissable. Je m’attendais si peu à ce coup terrible que vous venez de me porter. Cependant, comme vous le voyez, je me plains faiblement : c’est que bien des illusions viennent de m’être enlevées et que je garde encore un peu de fierté ; c’est cette fierté, c’est ma dignité de femme qui me soutient dans une aussi dure épreuve.

Eh bien, non, monsieur, non, je ne m’attendais pas à ce qui m’arrive. Tout à l’heure, l’oreille tendue, guettant le bruit de vos pas dans l’escalier, j’étais bien heureuse, oh ! oui, bien heureuse ; je ne vous dirai pas pourquoi, ce ne serait pas intéressant pour vous ; si vous l’apprenez plus tard, par hasard, cela vous laissera indifférent ou vous fera sourire.

Enfin, monsieur, tout est fini entre nous, vous l’avez dit. Je n’ai rien à ajouter à ce que vous venez d’entendre ; veuillez donc vous retirer, j’ai besoin maintenant de rester seule, face à face avec mon malheur.

Il sortit brusquement de son espèce d’hébétement.

– Vous ne devez plus avoir beaucoup d’argent, dit-il, et je ne veux pas vous laisser sans ressources.

Elle se redressa, les yeux étincelants.

– Accepter maintenant quelque chose de vous ! exclama-t-elle ; ah ! Dieu me préserve de cette honte !

– Pourtant, Marie, je serais désolé…

– Assez, monsieur, l’interrompit-elle avec emportement ; jamais, vous dis-je, jamais !

Il voulut insister encore.

Frémissante, indignée, elle lui montra la porte d’un geste impérieux.

– Encore une fois, monsieur, s’écria-t-elle, retirez-vous !

– C’est bien, dit-il, adieu, mademoiselle.

– Adieu, monsieur.

Il s’en alla.

Elle resta un instant debout, immobile, les bras croisés sur la poitrine, pâle, tremblante, la sueur au front ; puis elle tomba comme une masse sur un siège, et pressant sa tête dans ses mains crispées, elle éclata en sanglots.

Share on Twitter Share on Facebook