III Écœurement

Elle pleura longtemps. Son désespoir était affreux. Plus rien à espérer, tous ses rêves de bonheur détruits, sa vie brisée, c’était épouvantable. Et cet enfant qu’elle mettrait au monde, comment l’élèverait-elle ? Le pourrait-elle seulement ?

Sans doute elle retrouverait un emploi, elle aurait du courage, elle travaillerait fort ; mais pour une pauvre femme sans appui, seule au monde, un enfant est toujours une très lourde charge.

De quelque côté qu’elle se tournât, tout était noir, la désespérance partout, des horizons fermés.

Elle passa le reste du jour à se lamenter, à sonder la profondeur de l’abîme où elle était tombée.

Elle se coucha sans avoir pris autre chose dans la journée que son café au lait le matin. Mais que lui importaient ses tiraillements d’estomac ? À côté de ses tortures de l’âme, qu’était-ce que la souffrance de la faim ?

– Ah ! je voudrais mourir, je voudrais être morte ! s’écria-t-elle en s’étendant sur son lit.

Aussitôt elle tressaillit violemment.

– Malheureuse que je suis, dit-elle sourdement, en mourant, je donnerais en même temps la mort à mon enfant ; est-ce que j’ai le droit de le tuer, cet innocent ?

Il lui sembla que le petit être remuait dans son sein comme pour la remercier de ne pas vouloir lui ôter la vie.

Elle éprouva une émotion indéfinissable ; c’était comme un commencement de consolation. Tant il est vrai que si la maternité n’est pas exempte de douleurs, elle a aussi, dans la conception, des joies mystérieuses.

Elle passa la nuit sans dormir, sans pouvoir fermer les yeux. Trop de pensées plus douloureuses les unes que les autres l’agitaient.

Elle se leva à six heures, comme toujours. Elle était plus calme. Elle souffrait horriblement, mais semblait résignée. Elle fit sa toilette, s’habilla, puis machinalement, par habitude, elle se mit à son ménage, époussetant, frottant les meubles qui n’en avaient pas grand besoin. Elle fut dérangée dans cette occupation par la concierge, une brave femme qui l’avait prise en amitié et qui, chaque matin, lui montait son lait.

– Merci, madame Durand, dit la jeune fille, qui versa le lait de la boîte de fer-blanc dans un bol de porcelaine imagée.

– Vous avez l’air tout drôle, mademoiselle Marie.

– Je suis un peu fatiguée, j’ai mal dormi.

– Ah ! ah ! Oui, en effet, vous avez les traits tirés, les yeux battus, rougis. Ce ne sera rien, un peu de repos. Dieu merci, cela n’empêche pas que vous soyez toujours jolie comme un ange. Il faut avoir soin de vous, mademoiselle Marie, c’est le moyen de conserver votre beauté.

Voyant que la jeune fille n’était pas disposée à causer, la bonne femme se retira.

Marie reprit son torchon et son plumeau.

Sur la tablette de la cheminée du salon, elle trouva un billet de banque de mille francs. Évidemment, c’était M. Lucien qui, la veille, avant de la quitter, avait mis là ce billet, sans qu’elle s’en aperçût.

À la surprise succéda un mouvement de colère : ses sourcils se froncèrent et ses lèvres devinrent frémissantes.

– Mille francs laissés là, comme on fait chez une fille, murmura-t-elle d’une voix sombre. Cet argent signifie : « Tu m’as donné tout ce que tu possédais, ton honnêteté, ton auréole d’innocence ; tiens, voilà mille francs, je te paie, nous sommes quittes. » Oh ! comme c’est misérable !

Elle tenait le billet entre ses doigts crispés. Prête à le mettre en mille pièces et à jeter les morceaux au vent, par la fenêtre, elle se ravisa. Elle passa dans sa chambre où elle écrivit ce qui suit sur une feuille de papier à lettre :

« Monsieur,

« Hier, chez moi, vous avez perdu un billet de banque de mille francs ; je l’ai trouvé ce matin et je me hâte de vous le rendre.

Votre très humble servante,

« MARIE. »

Mais avant d’écrire elle n’avait pas réfléchi ; elle était si troublée ! L’adresse de M. Lucien lui était inconnue. Elle savait qu’il était chef de bureau dans un des grands établissements financiers de Paris, il le lui avait dit ; mais lequel ? Plus d’une fois elle le lui avait demandé, et toujours, sous le prétexte qu’elle ne pouvait lui écrire à son bureau, ni venir l’y trouver, il n’avait pas répondu à sa question. Il avait également refusé de lui faire connaître sa demeure où, disait-il, il vivait avec sa mère.

Il était donc impossible à Marie de renvoyer le billet de banque. Elle était vivement contrariée, mais que faire ?

– C’est bien, se dit-elle, je m’informerai et peut-être parviendrai-je à savoir où je pourrai lui renvoyer son argent.

Elle mit le billet dans la feuille de papier et glissa le tout dans une enveloppe qu’elle cacheta et sur laquelle elle écrivit :

Monsieur Lucien Gervois.

Elle plaça le pli sur la cheminée du salon, acheva vite de faire son ménage, puis alluma le réchaud de sa cuisine pour faire bouillir son lait. Depuis vingt-quatre heures qu’elle n’avait rien mangé, elle sentait le besoin de se restaurer. Quand elle eut déjeuné, il lui sembla qu’elle était plus forte, plus vaillante.

Marie avait l’âme fortement trempée, c’était une nature d’élite. Prématurément mûrie par le malheur, elle avait de l’énergie, de la volonté. Elle ne voulait pas se laisser abattre comme un chêne sous la cognée du bûcheron ; elle se redressait dans sa fierté et se sentait prête à entrer en lutte avec toutes les difficultés de la vie.

Abandonnée par un homme qu’elle avait trop aimé, qu’elle aimait encore, hélas ! mais qui, heureusement, lui inspirait maintenant du mépris, elle aurait la force d’arracher cet amour de son cœur. Alors, sans doute, elle retrouverait sa tranquillité ; car c’était fini, bien fini, elle n’aimerait plus. Elle ne verrait plus dans les hommes que des lâches, des misérables ; elle les aurait en horreur.

Mère, elle serait toute à son enfant, elle ne penserait qu’à lui, ne vivrait que pour lui. Elle sentait que pour cet enfant sans père aucun sacrifice ne lui coûterait. Mais, avant tout, et en attendant, il fallait se procurer des moyens d’existence ; elle ne pouvait vivre de l’air du temps, pas plus que de ses larmes.

– Dès cet après-midi, se dit-elle, je me mettrai à la recherche d’un emploi ; on m’a prise dans une maison de confiserie parce que j’étais jolie, on me prendra bien encore dans un autre magasin quelconque pour la même raison. C’est triste. Mais puisque je n’ai que ma beauté. Il faut bien qu’elle me serve.

Marie ne se rendait pas justice en parlant ainsi : elle n’avait pas que sa beauté : elle était intelligente, très intelligente même, avait une instruction suffisante, était distinguée, polie, avenante, gracieuse, propre, adroite, bien élevée. Grand est le nombre de celles qui ne sont pas aussi richement douées. Mais Marie Sorel était modeste, un peu défiante d’elle-même et ignorait ce qu’elle valait.

Sur-le coup de dix heures on sonna à sa porte.

Elle devint toute rouge ; c’était une suffocation.

Elle pensa que c’était lui, Lucien, qui, honteux de sa conduite, repentant, revenait implorer son pardon.

Les femmes sont ainsi, toujours disposées à l’illusion.

Très émue, tremblante comme la feuille, elle alla ouvrir.

Ce n’était pas Lucien, mais un de ses amis, jeune homme du monde qui se nommait Raoul de Simiane et pouvait avoir aussi une trentaine d’années.

Marie le connaissait pour l’avoir vu plusieurs fois en compagnie de Lucien ; il était même venu deux ou trois fois chez elle. Il lui avait toujours été antipathique, non parce qu’il avait une physionomie désagréable, il était même mieux physiquement que son ami, mais parce qu’il était fat, poseur, infatué de sa personne, prétentieux et qu’il parlait des femmes en général avec un sans-gêne quelque peu révoltant.

La jeune fille fut surprise de cette visite ; si elle avait obéi à son premier mouvement, elle aurait fermé sa porte sur le nez de l’intrus, qui se présentait à elle en se dandinant et avec un sourire singulier sur les lèvres. Elle le laissa entrer.

– Bonjour, mademoiselle Marie, dit-il en l’enveloppant d’un regard peu respectueux ; hé, hé, je vois à votre surprise que vous ne vous attendiez pas à recevoir ma visite aujourd’hui. Savez-vous que je n’ai pas eu le plaisir de me trouver avec vous depuis trois semaines ? eh bien, j’éprouvais le besoin de vous revoir. Comment allez-vous aujourd’hui ? Mais j’ai tort de vous le demander ; vous avez une mine superbe ; vous êtes plus que jamais charmante, adorable.

Tout en parlant il était entré dans le salon, précédé de la jeune fille qui l’écoutait à peine.

Brusquement elle se tourna vers lui.

– Monsieur, demanda-t-elle, à quoi dois-je l’honneur de votre visite ? Mais au plaisir de vous voir, répondit-il.

– Ah ! pour cela… seulement ?

– Ce seul motif en vaut plusieurs autres.

– Je pensais que vous veniez de la part de votre ami, M. Gervois, que vous aviez à me parler de lui.

Mais sans doute, mademoiselle, si vous le désirez, nous parlerons de lui. Ce pauvre Lucien, il est parti.

– Ah ! il est parti !

– Mais il m’a dit vous avoir vue hier et annoncé son départ.

– C’est vrai, il m’a parlé de cela. Vous savez où il va ?

– Loin, très loin… Ah ! diable, je ne me rappelle plus le pays ; c’est en Cochinchine ou au Brésil, au Congo ou en Calédonie.

La jeune fille ébaucha un sourire triste.

– Il est étrange que vous soyez si inexactement renseigné, dit-elle.

– Il était pressé, il m’a fait ses adieux très vite, tout ce qu’il m’a dit n’est pas resté dans ma mémoire.

– Je le vois, monsieur de Simiane. Mais il vous écrira, sans doute.

– Certainement, certainement, dès qu’il sera arrivé.

– Tenez, j’ai là une lettre pour lui, je vais vous la remettre et vous serai obligée de la lui faire parvenir.

– Elle est écrite par vous, cette lettre ?

– Oui.

– Je m’en chargerai volontiers ; mais rien ne presse ; vous me la remettrez plus tard, quand je connaîtrai sa résidence et que je saurai qu’il y est arrivé. Lucien n’est pas un méchant garçon ; mais il est d’une faiblesse de caractère… C’est sa mère, paraît-il, qui a tenu à ce qu’il s’éloignât de la France. Il n’a jamais su résister à la volonté de sa mère. Il est vrai qu’on lui offre de grands avantages ; mais s’en aller vivre chez des sauvages !… Moi, à sa place, ayant le bonheur sans pareil de vous avoir pour amie, j’aurais refusé net, m’eût-on offert la souveraineté de plusieurs royaumes. Et si j’avais été absolument forcé de partir, je vous aurais suppliée à genoux de me suivre, de vous expatrier avec moi.

Décidément Lucien est un cœur froid, il ne sait pas aimer : tenez, je puis vous le dire aujourd’hui, il n’a jamais mérité de vous posséder, vous, la plus adorable des femmes, le trésor le plus précieux que puisse désirer un homme. Comme elle restait silencieuse, un peu étonnée des paroles du jeune homme et du feu qu’il y mettait, il continua :

– Il n’y a pas à dire, mon bel ami, Lucien s’est mal conduit avec vous ; après de si éclatantes preuves d’amour que vous lui avez données, vous abandonner ! c’est inqualifiable. Entre vous, il me l’a dit, tout est fini, tout. Je ne sais pas ce que vous pensez, comment vous avez pris cette rupture brutale ; dans tous les cas, la façon dont Lucien a agi envers vous ne peut que vous aider puissamment à l’oublier, surtout si un autre mieux épris de votre personne et sachant mieux vous apprécier s’impose la tâche agréable de vous consoler.

– Pardon, monsieur, répliqua la jeune fille avec un mouvement d’impatience, mais où voulez-vous donc en venir avec tous ces discours ?

– Quoi, vous, ne comprenez pas ?

– Non, monsieur, non.

– Mademoiselle Marie, je vous aime, je vous aime depuis ce jour, que vous ne pouvez avoir oublié, où nous nous sommes rencontrés la première fois dans le bois de Meudon. Vous étiez au bras de Lucien, gracieuse, gaie, souriante, divine. Ah ! je me rappellerai toujours la délicieuse toilette de taffetas bleu clair que vous portiez ce jour-là, et le ravissant chapeau dont la plume bleue flottait au vent. Mais c’était surtout votre charmant visage que je contemplais, le rayonnement de vos yeux que j’admirais.

Ah ! que vous étiez belle ! À cet instant même j’ai senti que je vous appartenais tout entier. Depuis, votre chère image m’a toujours accompagné partout, jusqu’au milieu des distractions que je cherchais afin de vaincre ce sentiment qui m’obsédait. Hélas ! vous étiez la maîtresse de mon ami ! Je devais me taire. Je ne vous dirai pas ce que j’ai souffert, quelles ont été mes tortures, forcé que j’étais à renfermer en moi toutes mes pensées, à mettre un frein à mes désirs.

Aujourd’hui, enfin, je peux parler, vous faire l’aveu de cet amour que vous m’avez inspiré ! Vous êtes libre !

Je vous aime, mademoiselle Marie, mais non, ce n’est pas assez dire, je vous adore ; c’est une passion brûlante, indomptable qui s’est emparée de tout mon être et dont je suis l’esclave.

La jeune fille l’écoutait, abasourdie, n’en pouvant croire ses oreilles. Il prit sa stupeur pour de l’hésitation, et comme tous les séducteurs il crut pouvoir employer les grands moyens pour arriver au dénouement. Il voulut lui prendre la taille.

Elle le repoussa avec une sorte de violence.

– Marie, reprit-il d’une voix enflammée, soyez à moi ! Je ne suis pas un Lucien ; avec moi, je vous le jure, vous serez la femme la plus heureuse, la plus enviée. Je vous aime !

Il essaya encore d’envelopper sa taille.

Elle le repoussa comme la première fois.

– Je vous aime, je vous aime ! répéta-t-il.

– Moi, monsieur, je ne vous aime pas.

– Dans huit jours vous ne penserez plus à Lucien, et c’est moi que vous aimerez.

– Ainsi, monsieur, répliqua-t-elle avec un tremblement dans la voix, abandonnée par M. Gervois, vous vous offrez à le remplacer ?

– En tout et pour tout.

– Et vous trouveriez cela tout simple, tout naturel ? fit-elle d’un ton ironique.

– Mon Dieu, oui, tout simple, tout naturel.

– Vous ne vous demandez pas ce que M. Lucien Gervois, votre ami intime, penserait d’une pareille chose ?

– Il en serait ravi.

– Je crois que vous vous trompez.

– Je suis sûr qu’il en serait enchanté.

– Comment êtes-vous si sûr que cela ?

– Lucien m’a dit : – Mon cher, je quitte Marie, tu peux la reprendre.

La jeune fille eut un haut-le-corps et se dressa frémissante, un éclair fauve dans le regard.

– Ainsi, dit-elle d’une voix sifflante, je suis pour M. Lucien Gervois et pour vous monsieur de Simiane, une chose que l’on cède, un de ces objets dont on se débarrasse, qu’on jette quand on n’en veut plus, en disant à un autre : tu peux ramasser ça, si tu le veux !

– Allons, ne prenez pas la chose ainsi ; vous tournez tout au tragique. Lucien n’a pensé qu’à la situation difficile dans laquelle vous alliez vous trouver. Vous êtes sans fortune, sans ressource, et vous savez bien à quoi une femme seule peut arriver ; il vous faut donc…

– Un entreteneur, acheva-t-elle.

– Un ami, un amant dévoué, qui veille sur vous et vous donne tout ce qui vous est nécessaire.

– Tout cela est infâme, monsieur, infâme, entendez-vous ? s’écria-t-elle pâle d’indignation et de colère, et je ne saurais dire, de M. Gervois et de M. de Simiane, lequel est le plus misérable, le plus lâche !

– Permettez…

– Je ne permets rien ! et je trouve que vous m’avez suffisamment outragée.

– Comment, je vous ai outragée, moi ?

– De toutes les manières.

– En vérité, je ne comprends pas vos grands airs et moins encore votre colère ; car, enfin, vous n’êtes pas une rosière.

– Oh ! oh ! gémit-elle.

– Vous n’aviez pas ces susceptibilités de vestale effarouchée quand vous avez accepté les propositions de mon ami, continua-t-il ; étiez-vous entretenue par Lucien ? Si, oui, vous le pouvez être par un autre.

– Assez, monsieur, assez ! exclama-t-elle. Ah ! s’il existait encore en vous un sentiment honnête, vous auriez honte de vos paroles ; mais vous n’avez ni générosité, ni délicatesse ; vous n’avez rien dans le cœur, rien dans l’âme ! Je suis une malheureuse, une abandonnée, et parce que je n’ai personne pour me protéger, pour me défendre, vous croyez avoir le droit de m’insulter impunément !

Broyée par la douleur, elle voila son visage de ses mains.

– Ainsi, murmura-t-elle, je suis une de ces femmes devant lesquelles un homme peut tout oser, une de ces femmes à qui l’on peut tout dire… Mon Dieu, mon Dieu, c’est trop, c’est trop ! je ne l’ai pas méritée aussi terrible, la punition que vous m’infligez.

– Allons, mademoiselle Marie, si vous vouliez réfléchir, vous comprendriez…

Elle se redressa brusquement.

– Je comprends, monsieur, dit-elle d’une voix oppressée, je comprends que je suis une fille perdue aux yeux du monde et que mon malheur est complet : irrémédiable. La pauvre femme tombée n’a plus rien à espérer, plus rien à attendre ; au lieu de lui tendre une main secourable pour l’aider à se relever, on l’écrase. Elle a les pieds dans la boue, on l’y enfonce jusqu’au cou. Je le vois, hélas ! le monde est sans pitié et les hommes sont lâches !

– Vous avez le caractère aigri, je n’aurais pas dû venir aujourd’hui.

– Ni aujourd’hui, ni un autre jour. Ce matin, je me sentais résignée, il me semblait que je pourrais sortir de l’abîme profond dans lequel je suis tombée ; à ce moment, le désespoir me ressaisit, toute mon énergie m’abandonne. Je ne sais quel trouble, quelle horrible angoisse vous avez mis en moi, vous m’avez brisée ! Tenez, je n’ai même plus la force de vous jeter à la face, dans une dernière imprécation, mon mépris et mon dégoût.

Laissez-moi, monsieur, de grâce, laissez-moi !

– Oui, puisque vous le voulez, mais je reviendrai.

– Jamais ! Ah ! si je ne dois pas mourir des coups cruels qui me sont portés, qu’on me laisse au moins vivre en paix.

– C’est votre dernier mot ?

– Mon dernier mot, monsieur.

– C’est bien, nous verrons.

– Qu’entendez-vous par ces paroles ?

– Je veux dire que lorsque votre douleur, parfaitement justifiée, sera calmée, vous serez plus abordable.

– N’ayez pas cet espoir, monsieur, et si j’avais une grâce à vous demander…

– Eh bien ?

– Ce serait de ne plus vous souvenir que j’existe.

– Je ne vous accorderai point cela, attendu que je ne le pourrais pas.

– Finissons-en, monsieur, vous êtes resté chez moi trop longtemps, allez-vous-en. Mais ne voyez-vous donc pas que votre présence me fatigue, qu’elle m’est odieuse ?

Il se pinça les lèvres, grimaça un mauvais sourire, la salua avec affectation et sortit en murmurant :

– C’est bon, je saurai bien te rejoindre et t’amener à capituler.

L’expression de son regard était menaçante.

Dans l’allée de la maison il se trouva en face d’André Clavière, qui se disposait à entrer dans la loge de la concierge.

Les regards des deux hommes se croisèrent ; puis M. de Simiane passa sans faire autrement attention à André. Celui-ci pénétra dans la loge.

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