II

Quelque incomplet que soit le portrait que nous venons d’esquisser, nos lecteurs comprendront sans peine pourquoi de gracieux sourires et de chaudes poignées de main accueillaient André partout où il se présentait, pourquoi il était estimé et aimé de tous, pourquoi bien des mères l’eussent voulu pour gendre, pourquoi, enfin, la gentille Huguette se redressait fièrement à son bras, lorsque le dimanche, après les vêpres, il la conduisait à la danse.

Huguette était la fiancée d’André. Tous les accords étaient faits. Le fermier Jubelin, le père d’André, devait céder sa ferme à son fils. Le mariage des jeunes gens était fixé à la fin d’août après la fête de Notre-Dame et la récolte des moissons. Tous deux attendaient impatiemment, et André trouvait que les blés ne mûrissaient pas assez vite.

Huguette et André se convenaient sous tous les rapports : la fortune des parents était à peu près égale ; au village c’est toujours le point capital. De plus, si André était le plus beau garçon de l’endroit, Huguette était aussi la plus gracieuse et la plus jolie.

Si l’on eût voulu établir une différence entre eux, physiquement, il eût été impossible de la trouver ; mais entre le cœur d’André et celui de la jeune fille, elle était grande : le cœur de celle-ci froid, sec et égoïste, ressemblait peu au cœur de l’autre, bon et généreux jusqu’à l’excès.

Huguette, il faut bien le dire, n’aimait pas André pour une seule de ses belles qualités ; elle l’aimait, surtout, parce que sa vanité de jeune fille y trouvait sa satisfaction ; elle l’aimait parce que tout le monde le vantait et le trouvait très bien, parce que la plupart des jeunes filles du village enviaient son bonheur, et un peu aussi, peut-être, parce qu’elle était sincèrement aimée.

Du reste, elle n’eût pas été femme si son cœur, sollicité par une affection grande et dévouée, était resté complètement froid et insensible.

André, confiant comme tous ceux qui donnent leur vie tout entière à une affection unique, n’avait pas eu de peine à s’illusionner sur la nature du sentiment de sa fiancée. Ainsi que lui, tout le monde s’y trompait. Mais André ne voyait qu’avec les yeux du cœur, et le monde, qui se donne rarement la fatigue d’observer, ne voyait rien.

Une seule personne, une jeune fille, avait peut-être lu dans le cœur et la pensée de la trop charmante Huguette, car elle aussi aimait André, et un peu d’envie, un peu de jalousie et beaucoup de regrets lui suggérèrent de sérieuses réflexions.

Mais, timide et craintive, la pauvre dédaignée enfouissait son secret au plus profond de son cœur. Elle était peu exigeante : un seul regard, d’André lui suffisait. Ce regard, qu’elle ne sollicitait jamais, et que cependant elle désirait comme la fleur désire les rayons du soleil, ce regard faisait revivre en elle les plus douces illusions et peuplait son cerveau de gais murmures et de joyeuses chansons.

Si par hasard André avait oublié de lui dire bonjour en passant, elle devenait triste ; toutefois, elle finissait par se consoler en pensant à lui. Mais si, le dimanche, André ne l’avait point fait danser, son bonheur et ses joies de toute une semaine s’envolaient.

Baissant les yeux et rougissante quand le jeune homme lui adressait la parole, elle n’osait le regarder que lorsqu’il s’était éloigné d’elle ; et pourtant deux larmes noyaient ses yeux dès que sa voix ne résonnait plus à son oreille.

Alors, le front rêveur, n’entendant et n’écoutant plus rien de ce qui se disait autour d’elle, elle se détournait des groupes joyeux, s’isolait ou s’en allait bien loin pour ne pas voir André offrir en souriant son bras à sa fiancée.

La marguerite des prés, qu’elle effeuillait souvent, dut lui mentir bien des fois ; n’importe, elle aimait superstitieusement la fleur discrète qui lui parlait si bien d’André et recevait complaisamment toutes ses confidences de jeune fille.

Si par sa beauté et grâce à la fortune de son père, Huguette était la première parmi les jeunes filles du village, comme son fiancé était le premier au rang des jeunes gens, Marie, ainsi se nommait sa rivale, était la seconde.

Blonde comme un épi mûr, jeune et fraîche comme une rose qui vient de s’épanouir, la beauté de Huguette seule pouvait l’emporter sur la sienne. Mais ce qui rendait, surtout, la beauté de l’une supérieure à celle de l’autre, plus accentuée, plus piquante, c’est que Huguette se savait belle et que Marie l’ignorait ; nul ne l’avait dit à celle-ci, tout le monde le disait à la première.

La fleur modeste, qui fleurit dans l’herbe, se flétrit souvent sans avoir été aperçue ; l’églantine suspendue au buisson attire tous les regards.

Sourires, louanges, caresses et hommages semblaient appartenir de droit et exclusivement à Huguette. Marie restait ignorée et oubliée.

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