V

Dès le lendemain du sinistre une collecte fut faite dans la commune, et pas un ménage ne manqua d’apporter son offrande. En outre, les principaux propriétaires s’entendirent entre eux et envoyèrent à la fermière du linge et autres objets de première nécessité en assez grande quantité. Enfin, tous les dons réunis, les pertes causées par le feu se trouvèrent presque entièrement réparées.

La première sortie de la fermière et de sa fille, lorsqu’elles furent à peu près remises de toutes leurs émotions, fut consacrée à une visite chez le père d’André.

Après avoir remercié Dieu, qui les avait prises en pitié, il était bien naturel qu’elles songeassent à témoigner leur vive gratitude au jeune homme courageux qui leur avait rendu, en risquant sa vie, à l’une son mari, à l’autre son père.

André, que la fièvre retenait forcément dans son lit, les accueillit cependant avec gaieté.

– Il prend son mal en patience, dit le père Jubelin aux visiteuses ; la fièvre l’a beaucoup affaibli. Ah ! dame, le feu ne l’a pas épargné.

– Vous devez horriblement souffrir, monsieur André ? dit la fermière.

– Presque plus maintenant, madame, répondit le jeune homme.

– Ne le croyez pas, répliqua le père, il souffre, au contraire, comme un damné de l’enfer… Mais mon garçon n’est pas une poule mouillée, un douillet, il aimerait mieux mourir plutôt que de se plaindre. Il a toujours eu l’air souriant que vous lui voyez, le mal n’a pu lui enlever sa gaieté ; il cause, il rit, je crois même qu’il lui prend parfois des envies de chanter ; je l’ai rarement vu d’aussi belle humeur… On comprend cela, le contentement de soi-même, le bonheur d’avoir sauvé la vie à un honnête homme ! André a un grand cœur ; il est bon, il est brave, prêt à se jeter dans le feu pour quelqu’un ; – il l’a suffisamment prouvé – je ne crains pas de le dire bien haut, André est mon orgueil, oui, je suis fier de mon fils !

– Et jamais orgueil et fierté n’ont été plus légitimes, monsieur Jubelin.

– Que voulez-vous ? chacun de nous a ses faiblesses ; aimer ses enfants est si naturel !…

– Oh ! oui, et même les aimer trop, monsieur Jubelin. Ah ! ils ne savent jamais tous les chagrins et toutes les joies qu’ils causent à leurs parents !

– En revanche, ils n’ignorent pas qu’ils peuvent toujours compter sur notre affection.

Le père Jubelin eut un de ces bons sourires qui n’appartiennent qu’aux pères.

– Voilà déjà huit jours que M. André est alité, reprit la fermière ; le médecin croit-il pouvoir le guérir vite ?

– Ce sera long. Et puis, tout le mal n’est pas là, malheureusement.

– Que voulez-vous dire, monsieur Jubelin ?

– Demandez-le à André.

La fermière se tourna vers le jeune homme.

– Le docteur, dit-il en souriant, prétend qu’il me restera sur la figure une marque qui se gardera bien de l’embellir.

Marie poussa un gémissement et ne put retenir ses larmes.

– Monsieur André, reprit la fermière, le médecin se trompe peut-être ; il faut espérer que cela ne sera pas.

– J’espérerais d’autant plus volontiers, répondit le jeune homme, si l’espoir m’était permis, qu’il est peu réjouissant d’être laid, affreux peut-être et de montrer à tout le monde une joue brûlée.

– Et c’est pour nous, pour nous… Oh ! monsieur André… murmura la fermière.

Elle prit la main du jeune homme et la serra doucement dans les siennes.

Marie pleurait silencieusement, le visage voilé de ses mains.

Comment pourrions-nous rendre tout ce qui se passait en elle à cet instant ?

Ainsi, André, pour s’être dévoué, pour lui avoir conservé son père en l’arrachant à une mort épouvantable, André devait rester défiguré ! Elle ne croyait pas qu’elle pût avoir assez d’admiration pour lui. Si elle l’eût osé, elle serait tombée à genoux devant son lit et lui aurait dit :

« André, vous êtes mon frère ; André, je vous admire, je vous aime !… »

Il lui semblait que sa place, à elle, était au chevet du blessé, qu’à elle seule appartenait le droit de veiller sur lui, de voir ses souffrances, de l’encourager, de le consoler, de lui donner des soins.

André regarda la mère et la fille, puis s’adressant à son père :

– Vois, lui dit-il, en montrant Marie et sa mère, et dis-moi si j’ai le droit de me plaindre.

Du revers de sa main le vieillard essuya une larme.

Un instant après, lorsque André se retrouva seul avec son père, il lui dit :

– La visite de madame Michelin et de sa fille m’a fait plaisir.

– Elles te devaient bien cela ; je les attendais.

– Avez-vous remarqué comme elles étaient émues ?

– Parfaitement. Marie pleurait.

– C’est une bien charmante jeune fille, mon père.

– Elle est, ma foi, aussi jolie que ta fiancée. Le jeune homme sourit.

– La femme aimée, dit-il, est toujours la plus belle parmi toutes les autres.

– Du vivant de ta pauvre mère, j’ai toujours pensé ainsi.

– C’est égal, reprit le jeune homme après un moment de silence, Huguette ne vient pas me voir souvent. Elle est venue avec sa mère, le lendemain de l’incendie, et depuis nous ne l’avons plus revue.

Huguette ne peut pas être toujours près de toi ; pour une jeune fille ce serait peu convenable. Attends que tu sois guéri… Bientôt nous ferons la noce.

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