I

Il se tenait debout, immobile, sur la tête noire d’un rocher au flanc du coteau. Les mains croisées sur la poitrine, tête nue, ses cheveux tombant sur son cou, le front haut le regard plongé dans l’immensité insondable, il ressemblait à une statue sur son piédestal.

Des paysans passaient près de lui et le regardaient d’un air moqueur. Il ne les voyait point.

C’était un tout jeune homme, à la moustache naissante ; son visage un peu pâle, mais aux traits accentués, énergiques, indiquait au moins vingt-cinq ans, – il n’en avait que vingt-deux. Dans sa physionomie animée il y avait une grande expression de noblesse et de fierté. De son œil profond, un peu rêveur, s’échappait un regard rapide, incisif, brillant, ayant quelque chose d’inspiré. Il suffisait de le voir pour deviner en lui une de ces natures exceptionnelles que la pensée ou le tempérament entraîne vers les hautes aspirations.

On était à la fin de juin ; le soleil descendait vers le couchant et allait toucher bientôt le sommet des hautes montagnes. Tout à coup, ses rayons pâlirent et il disparut derrière un épais nuage d’un gris sombre. Des masses de vapeurs noires, pourprées et jaunâtres, glissaient rapides dans le ciel en s’épaississant à l’horizon.

L’atmosphère était lourde et la campagne silencieuse. Aucune feuille ne tremblait dans les arbres ; pas un souffle n’agitait les hautes herbes au-dessus desquelles s’élançaient les cigales et passaient les papillons au vol inquiet et indécis. À deux mètres du sol, des milliers d’insectes microscopiques se livraient à une danse désordonnée, fantastique.

Les bergers rassemblaient leurs troupeaux, et faucheurs et faneuses quittaient leur travail et se hâtaient de rentrer au hameau pour ne pas être surpris par l’orage.

Bientôt, une sorte de frémissement courut dans les arbres, les feuillages parurent chuchoter. Au bout d’un instant, le vent souffla avec plus de force ; en quelques minutes, il devint furieux.

Les noirs corbeaux regagnaient la forêt voisine, d’un vol pesant, en jetant dans l’air des criaillements plaintifs. Les fauvettes et les verdiers effarouchés se tapissaient au milieu des buissons.

Des trombes de poussière se soulevaient sur les routes et étaient emportées par le tourbillon, qui les lançait dans l’espace à une hauteur prodigieuse. Les peupliers, aux grands panaches verts, se ployaient à demi et se tordaient avec de sourds gémissements. Dans la forêt, le vent mugissait, faisant craquer les vieux chênes séculaires, et les branches se brisaient avec un bruit sinistre. La plaine, couverte de blés presque mûrs, ressemblait à une mer tourmentée soulevant des flots dorés ; les épis se courbaient jusqu’à terre, puis se redressaient pour s’incliner encore.

Soudain, l’éclair déchira la nuée et incendia le ciel ; la foudre éclata en grondements terribles.

La campagne était devenue déserte. Papillons, cigales et moucherons avaient disparu, balayés par un coup de vent. Seul, le jeune homme restait debout sur la roche. Il contemplait avec une sorte de ravissement l’horreur sublime du tableau que lui offrait la tempête.

À le voir ainsi, le front rayonnant, le regard illuminé, les lèvres frémissantes, enveloppé d’éclairs, calme sous le fracas du tonnerre, on l’eût pris pour un démon railleur ou un dieu mythologique s’égayant au spectacle d’une convulsion de la nature.

– Oh ! que c’est beau, que c’est beau ! s’écriait-il avec exaltation. Voilà un des chefs-d’œuvre de Dieu, notre grand maître à tous.

De larges gouttes de pluie commençaient à tomber ; les éclairs continuaient à courir dans le ciel en zigzag, et les explosions de la foudre se succédaient sans intervalle. Le jeune homme s’élança du rocher sur la terre et descendit le coteau pour rentrer au village.

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