V

Dans la journée du lendemain, Jules Thiéry se présenta chez madame Moriset.

– Comment va Marcelle ? lui demanda-t-il. Son indisposition d’hier n’a pas eu de suites graves, j’espère.

– Non, Dieu merci. Venez donc lui dire bonjour, elle sera heureuse de vous voir.

Jules suivit madame Moriset dans la chambre de Marcelle.

La jeune fille était assise, songeuse et triste, près de sa fenêtre. Ses yeux éteints et rougis disaient assez quelle nuit elle avait passée.

– Mignonne, c’est M. Thiéry qui vient te demander si tu vas mieux, dit madame Moriset en entrant.

Marcelle se leva péniblement et retomba aussitôt sur sa chaise ; une vive rougeur avait soudainement coloré ses joues.

– Votre accident d’hier soir m’avait inquiété, dit Jules en s’approchant de la jeune fille, et je ne voulais pas quitter Doncourt vous croyant malade.

– Quitter Doncourt ! s’écria madame Moriset, vous allez donc repartir ?

– Ce soir, oui, madame.

– Ce n’est pas ce que vous disiez dans votre lettre.

– En effet, j’avais annoncé à mes parents que je passerais plusieurs mois avec eux ; mais depuis, il est survenu des événements qui ont complètement changé mes intentions.

– Mon cher Jules, il n’est pas possible que vous ne restiez point au moins quinze jours ; nous vous ferons changer d’idée, n’est-ce pas, Marcelle ?

– Oui, ma mère, répondit celle-ci, les yeux toujours baissés.

– Je vous laisse, dit madame Moriset. Marcelle, gronde-le bien, afin de le rendre plus raisonnable.

– Marcelle, dit Jules, lorsqu’il fut seul avec la jeune fille, vous savez pourquoi je pars ?

– Oui.

– Alors vous savez que je vous aime toujours ; vous devez comprendre combien je souffre. Hier vous m’avez entendu, lorsque je racontais l’histoire d’une pauvre fille qui, dans un instant, avait renié tout son bonheur passé, détruit toutes ses joies pour l’avenir.

– J’écoutais, dit Marcelle d’une voix étouffée.

– Je l’ai compris mais trop tard ; j’ai été cruel et sans pitié pour vous, Marcelle, pardonnez-moi. Si j’ai tué le misérable qui vous avait trompée, c’est que je voulais absolument vous venger, et maintenant que vous n’avez plus rien à redouter de lui, maintenant que je ne suis rien pour vous et que je vous suis inutile, je pars, je quitte Doncourt pour n’y plus revenir.

– C’est donc moi qui vous chasse ?

– Oui, car je vous aime trop pour pouvoir vivre près de vous ; vous savoir à quelques pas de moi, vous voir presque chaque jour et ne plus avoir le droit de vous parler de notre enfance, de mon amour, qui était pour moi l’espoir de toute ma vie, serait un supplice au-dessus de mes forces.

– Pourquoi ne me haïssez-vous pas, Jules ?

– Je ne vous hais pas, parce qu’à mes yeux vous êtes toujours la blonde enfant qui a partagé mes jeux, la douce jeune fille qui m’apparaissait radieuse, quand loin de la France je rêvais à mon pays.

– Vous avez raison, Jules, nous ne devons plus nous revoir ; mais avant de partir ne me pardonnerez-vous pas ?

– Oui, oui, je te pardonne, Marcelle, ma sœur chérie !…

Et, entraîné par sa nature généreuse, il prit la tête de la jeune fille dans ses mains et la baisa au front. Puis il s’élança hors de la chambre. Marcelle tomba à genoux, joignit les mains et pria.

Le soir, Jules Thiéry quitta Doncourt.

Huit jours après, le bruit courut dans le village que Marcelle avait disparu de la maison de son père, et qu’on ignorait où elle était allée. Madame Moriset ne sortait plus de chez elle. La mère Thiéry était la seule personne qu’elle reçût. Les deux femmes pleuraient ensemble.

Le père Moriset avait enlevé les grelots attachés au collier de ses chevaux, et, le matin, en traversant le village, il ne faisait plus claquer son fouet comme autrefois.

Pendant un mois, le coup qui venait de frapper les Moriset occupa tout le village ; on expliquait la disparition de Marcelle de vingt manières différentes, et Dieu sait toutes les méchancetés qu’on trouva à dire sur son compte. – Elle est allée rejoindre le neveu du colonel, disait le plus grand nombre. La nouvelle de la mort d’Henri Charrel força les mauvaises langues à faire de nouvelles suppositions. Mais la fuite de la jeune fille resta inexpliquée pour ses parents comme pour tout le monde.

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