VII La mort et la vie

À l’heure où les ombres s’allongent :

Majoresque cadunt altis de montibus umbrae.

Dans la clairière sacrée, les Goura-Zannkas s’assemblaient pour la fête nocturne. Les brasiers étaient prêts. Vingt Trapus et vingt Goû-Anndas trempaient encore dans le lac, afin que leur chair fût plus tendre et plus savoureuse.

C’était un jour de suprême victoire. Les Goura-Zannkas, en moins d’un mois, avaient triomphé des Fils du Rhinocéros-Rouge, des Fils du Lion-Noir et des ennemis millénaires, les Trapus, maîtres des cavernes et des souterrains.

L’Aigle Bleu marcha vers le camp des chefs aux Visages-Incolores.

Là aussi, les bûchers étaient disposés pour la nuit pleine de pièges. L’Aigle Bleu contempla avec admiration la stature immense de Guthrie et il tourna vers Ironcastle une face grave.

Et tout en répétant ses paroles par les gestes, il clamait amicalement :

– Cette nuit sera la plus grande nuit des Goura-Zannkas depuis que Zaouma s’empara de la Forêt… Vingt Trapus et vingt Goû-Anndas donneront leur force et leur courage aux Goura-Zannkas. Ouammhà serait content de partager la chair des vaincus avec les grands Chefs-Fantômes… Car il est leur ami. Et il sait bien qu’ils sont les maîtres de la mort. Le chef de la Sagesse, le chef Géant, et les chefs qui frappent plus loin que ne vole la voix de la Trompe-Sonore, veulent-ils assister à la grande fête ?

Hareton comprit ce langage. Il répondit du geste et de la voix :

– Nos clans ne mangent pas de la chair humaine et il leur est défendu de la voir manger.

Le visage de l’Aigle Bleu montra un immense étonnement. Il dit :

– Comment cela est-il possible ! Que faites-vous des vaincus ? Votre vie doit être triste !

Il comprit que c’est de là que venait leur visage incolore. Mais parce qu’il faut respecter la force, et qu’il était plein de gratitude, il se borna à dire, peut-être avec une obscure ironie :

– Ouammhà enverra à ses amis des antilopes et des phacochères…

Philippe contemplait dans l’ombre verte, aux reflets tremblants de la rivière, la grâce claire de Muriel. La fille des Angles, sous les cheveux tissés de soleil et de lune, évoquait les déesses blondes, les oréades, les napées ou encore les ondines jaillissant des lacs mystérieux du nord… Il assemblait autour d’elle les beaux désirs de l’homme et les fictions sacrées qui firent de l’humble femelle primitive une créature enchantée.

Leurs yeux se rencontrèrent ; il balbutia :

– Muriel… vous le savez, peut-être… Sans vous, la nuit s’étend sur mon avenir !

– Je suis une pauvre petite chose ! murmura-t-elle. Et je vous dois la vie…

– Alors, fit-il avec inquiétude… si je n’étais pas venu là-bas…

– Oh ! non, Philippe. Il n’était pas nécessaire que vous me sauviez la vie…

Un souffle de création passa sur l’étendue : la rivière semblait sortir de ce jardin du rêve où avaient coulé les premiers fleuves et les arbres venaient de naître sur la terre jaillie des eaux…

Un pas froissa les herbes. Hareton Ironcastle parut sur le rivage et vit leur émotion.

Et la main sur l’épaule de Philippe, il dit :

– Tu pourras te confier en elle, mon fils ! Son cœur est pur, son âme constante et elle craint l’Éternel !…

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