Chapitre X

Au laboratoire, on faisait des expériences émouvantes. Les taches, après une période d’incubation, se précisaient. Elles laissaient mieux apercevoir les détails de leur structure ; à la loupe, leurs zones se détachaient avec netteté. D’abord immobiles, elles s’étaient mises à se déplacer, et leurs déplacements rendaient évidente leur constitution extra-terrestre. En effet, lorsqu’elles quittaient une région de la peau, celle-ci ne gardait aucune trace de leur séjour ni de leur passage et se décelait parfaitement saine.

Ce fait acquis, Langre et Meyral cherchèrent à déterminer si les taches étaient constituées par de la substance. Les mesures les plus subtiles ne révélèrent aucune résistance. À l’endroit occupé par une tache, on pouvait piquer ou sectionner la peau, exactement comme si celle-ci était à l’état normal. Des expériences de Langre et de Georges sur eux-mêmes, ainsi que sur la servante tragique et le chien, furent décisives. Néanmoins, les taches avaient trois dimensions. Le microscope révéla qu’elles s’élevaient au-dessus de la peau, à une hauteur qui variait de huit à soixante-six microns. Les rayons inférieurs du spectre leur donnaient des colorations bizarres, qui, tout d’abord, défièrent l’analyse. L’électricité leur faisait exécuter des mouvements dont le rythme parut désordonné ; les réactifs chimiques ne produisirent que des effets indirects ; elles ne décelaient aucune masse.

D’autre part, elles conservaient rigoureusement leur configuration et leurs zones.

– Par suite, concluait Langre, elles sont assimilables à des corps solides.

– Des solides sans masse, sans résistance ?

Ils demeuraient méditatifs.

– Faut-il y voir cependant une forme de la Matière ? demandait le vieillard.

– Oui, si la matière, à son tour, n’est qu’une forme de l’Énergie… ou mieux des Énergies.

– Alors, plus de substance ?

– Quien sabe ? Les énergies, en somme, ne sont que des manifestations de différences. Des substances sont probables, mais elles n’auraient aucun rapport avec ce que nous nommons la matière.

– Et l’éther ?

– L’éther des savants n’est qu’un enfantillage. Je ne conçois que des Éthers, en nombre indéfini, analogues entre eux mais non semblables.

– Ne perdons pas pied ! protesta Gérard. Je pense qu’il faut considérer ces taches comme une forme matérielle de l’Énergie.

Un matin, ils firent une découverte capitale. Afin de tenter des expériences de masse, ils avaient assemblé tout le groupe, humains et animaux, dans le laboratoire. Or, Langre, après plusieurs tentatives, remarqua la même réfraction insolite, quoique bien plus faible, qui avait été signalée au début de la Catastrophe planétaire.

– Je conclus à l’identité essentielle des taches et du phénomène qui a failli anéantir la vie ! déclara-t-il. Les taches sont donc bien nées de ce résidu que je soupçonnais depuis longtemps !

Le lendemain, Meyral fit à son tour une découverte.

– Seconde démonstration que les taches sont de même nature que l’énergie qui a ravagé la terre. Je suis sûr maintenant que c’était un flux énergique.

– Vous ne croyez pas que ce flux tout entier était vivant ?

– Non.

– Vous croyez que les taches le sont ?

– J’en suis sûr ! Le phénomène dont nous sommes victimes est d’ordre organique. Chaque groupe, selon moi, est englobé dans un Être.

– En sorte que la vie terrestre est actuellement une double vie.

– Une double vie, oui. C’est l’expression juste. Car le phénomène n’est pas uniquement parasitaire : il a accru notre puissance d’extension.

Après un nouveau silence, Meyral remarqua :

– Je pense que la visibilité des filaments signifie que ceux-ci sont enveloppés d’une gaine lumineuse, car ils sont évidemment invisibles par eux-mêmes.

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