X

Nous travaillâmes. Quelques semaines suffirent au docteur pour dissiper tous ses doutes. Des expériences ingénieuses, des concordances indéniables entre chacune de mes affirmations, deux ou trois découvertes heureuses à propos de l’influence des Moedigen sur les phénomènes atmosphériques ne laissèrent aucune place à l’équivoque. L’adjonction du fils aîné de Van den Heuvel, jeune homme plein des plus hautes aptitudes scientifiques, accrut encore la fécondité de nos travaux et la certitude de nos trouvailles.

Grâce à l’esprit méthodique de mes compagnons, à leur puissance d’investigation et de classement – facultés que je m’assimilais de mieux en mieux – ce que ma connaissance des Moedigen présentait d’incoordonné et de confus ne tarda pas à se transformer. Les découvertes se multiplièrent, la rigoureuse expérience donna de fermes résultats, dans des circonstances qui, aux temps anciens et même encore au dernier siècle, eussent suggéré tout au plus quelques divagations séduisantes.

Il y a maintenant cinq années que nous poursuivons nos recherches elles sont loin, bien loin d’être arrivées à leur terme. Un premier exposé de nos travaux ne pourra guère paraître avant assez longtemps. Nous nous sommes, d’ailleurs, fixé comme règle de ne rien faire à la hâte : nos découvertes sont d’un ordre trop immanent pour ne pas être exposées avec le plus grand détail, la plus souveraine patience et la plus minutieuse précision. Nous n’avons à devancer aucun autre chercheur, ni brevet à prendre ni ambition à satisfaire. Nous sommes à une hauteur où la vanité et l’orgueil s’effacent. Comment concilier les joies délicieuses de nos travaux avec le misérable appât de la renommée humaine ? D’ailleurs, le hasard seul de mon organisation n’est-il pas la source de ces choses ? Et dès lors, quelle petitesse de nous en glorifier !

Nous vivons passionnément, toujours au bord de choses merveilleuses, et cependant nous vivons dans une sérénité immuable.

* * *

Il m’est arrivé une aventure qui ajoute à l’intérêt de ma vie et qui, durant les repos, me comble de joie infinie. Vous savez combien je suis laid, plus étrange encore, et propre à épouvanter les jeunes femmes. J’ai pourtant trouvé une compagne qui s’accommode de ma tendresse au point d’en être heureuse.

C’est une pauvre fille hystérique, nerveuse, dont nous fîmes rencontre, un jour, dans un hospice d’Amsterdam. On la dit d’aspect misérable, d’une pâleur de plâtre, les joues creuses, les yeux égarés. Pour moi, sa vue m’est agréable et sa compagnie charmante. Ma présence, loin de l’étonner, comme tous les autres, parut dès l’abord lui plaire et la réconforter. J’en fus touché, je voulus la revoir.

On ne tarda pas à s’apercevoir que j’avais sur sa santé et sur son bien-être une action bienfaisante. À l’examen, il parut que je l’influençais magnétiquement : mon approche, et surtout l’imposition de mes mains, lui communiquaient une gaieté, une sérénité, une égalité d’esprit véritablement curatives. En retour, je trouvais de la douceur auprès d’elle. Son visage me paraissait joli ; sa pâleur et sa maigreur n’étaient que de la délicatesse ; ses yeux, capables de voir la lueur des aimants, comme ceux de beaucoup d’hyperesthésiques, n’avaient point pour moi ce caractère d’égarement qu’on leur reprochait.

En un mot, j’éprouvai de l’inclination pour elle, et qu’elle me rendit avec passion. Dès lors, je pris la résolution de l’épouser, et je parvins aisément à mon but, grâce au bon vouloir de mes amis.

Cette union fut heureuse. La santé de ma femme se rétablit, quoiqu’elle demeurât extrêmement sensitive et frêle ; je goûtai la joie d’être, pour le principal de la vie, pareil aux autres hommes. Mais surtout ma destinée est enviable depuis six mois : un enfant nous est né, et cet enfant réunit toutes les caractéristiques de ma constitution. Couleur, vision, ouïe, rapidité extrême de mouvement, nutrition, il promet d’être l’exacte réédition de mon organisme.

Le docteur le voit grandir avec ravissement : une espérance délicieuse nous est venue, – que l’étude de la vie Moedig, du Règne parallèle au nôtre, cette étude qui exige tant de temps et de patience, ne s’arrêtera pas lorsque je ne serai plus. Mon fils la poursuivra, sans doute, à son tour. Pourquoi ne trouverait-il pas des collaborateurs de génie, capables de la pousser à une puissance nouvelle ? Pourquoi ne naîtrait-il pas, de lui aussi, des voyants du monde invisible ?

Moi-même, ne puis-je attendre d’autres enfants, ne puis-je espérer que ma chère femme donnera le jour à d’autres fils de ma chair, semblables à leur père ?… En y songeant, mon cœur tressaille, une béatitude infinie me pénètre, et je me sens béni parmi les hommes.

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