XXXIX

Elle avait gardé parmi quelques jouets d’enfance, un harmonica. La nuit quand tout sommeillait, que s’en allait une grande mélopée par les ramures, elle prenait l’instrument grêle. Entre des cumulus, l’esquif lunaire flottait. Il y avait des crinières blanches, des suies légères, de profondes constellations dans les abîmes, une écume d’océan. Madeleine, doucement, si doucement que Jeanne, dans la chambre à côté ne pouvait entendre, tentait, sur les lamelles de cristal de l’harmonica, d’imiter, d’évoquer l’ombre des petites fées sonores qui pleuvaient du violon de Jacques. Les voix frêles tintelaient, les fantômes des mélodies d’antan frémissaient, ondulaient, suivaient le vent nocturne, et Madeleine se les figurait planant au-dessus des champs, par les prés, les emblaves, allant frapper amoureusement aux vitres de son bien-aimé. Bientôt, aux envolements brisés de chanterelle, à des reconstructions fragmentaires, des réminiscences fidèles des nocturnes d’été, son cœur défaillait, bondé de trop suaves, trop navrants souvenirs, et elle levait naïvement le front, joignait ses doigts mincis vers les vapeurs vogueuses, les puits sidéraux, criait sa débilité à l’Entéléchie décevante :

– Grâce ! grâce… Oh, si tu écoutais, Dieu de la nuit !

Des astres se noyaient un à un. Une nue s’amarrait à une autre, des tourbillons se déchiraient en écharpes, le fleuve monotone du vent courait sans lassitude, colère sur les collines, impitoyable aux frondaisons pleureuses. Quelquefois la nuit était morte, l’immobilité s’accouplait au silence ; entre des albâtres et des neiges le bleu arrivait mollement, et de larges débris de Pégase, d’Altaïr, d’Andromède, de Cassiopée, du Cygne, étendaient leurs limpidités immuables. Madeleine regarda l’Aigle, et tout bas, croulant avec une frange de la ceinture lactée. Le froid prenait sa douleur, l’endolorissait : elle fermait la croisée. Le rideau, de son faible voile, cachait l’Infini. Et dur était son sommeil, son sang brassé par des forces misérables, sa jeunesse gâtée de pesants songes, déclinante, perdant la douce, la puissante inconscience du vrai repos, de la chair contente.

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