SCÈNE V.

CARLIN, LISETTE, avec une lettre dans le sein.

LISETTE, à part.

Voilà déjà mon drôle aux aguets : tout va bien.

CARLIN.

(À part.)(Haut.)

Hasardons l’aventure. Eh ! comment va Lisette ?

LISETTE.

Je ne te voyais pas ; on dirait qu’en vedette

Quelqu’un t’aurait mis là pour détrousser les gens.

CARLIN.

Mais, j’aimerais assez à piller les passants

Qui te ressembleraient.

LISETTE.

Aussi peu redoutables ?

CARLIN.

Non, des gens qui seraient autant que toi volables.

LISETTE.

Que leur volerais-tu ? pauvre enfant ! je n’ai rien.

CARLIN.

Carlin de ce rien-là s’accommoderait bien.

(Essayant d’escamoter la lettre.)

Par exemple, d’abord je tâcherais de prendre…

LISETTE.

Fort bien ; mais de ma part tâchant de me défendre,

Vous ne prendriez rien, du moins pour le moment.

(Elle met la lettre dans la poche de son tablier du côté de Carlin.)

CARLIN.

Il faudrait donc tâcher de m’y prendre autrement.

Qu’est-ce que cette lettre ? où vas-tu donc la mettre ?

LISETTE, feignant d’être embarrassée.

Cette lettre. Carlin ? Eh mais, c’est une lettre…

Que je mets dans ma poche.

CARLIN.

Oh ! vraiment, je le vois.

Mais voudrais-tu me dire à qui ?…

(Il tâche encore de prendre la lettre.)

LISETTE, mettant la lettre dans l’autre poche opposée à Carlin.

Déjà deux fois

Vous avez essayé de la prendre par ruse.

Je voudrais bien savoir…

CARLIN.

Je te demande excuse ;

Je dois à tes secrets ne prendre aucune part.

Je voulais seulement savoir si par hasard

Cette lettre n’est point pour Valère ou Dorante.

LISETTE.

Et si c’était pour eux…

CARLIN.

D’abord, je me présente,

Ainsi que je ferais même en tout autre cas,

Pour la porter moi-même et vous sauver des pas.

LISETTE.

Elle est pour d’autres gens.

CARLIN.

Tu mens ; voyons la lettre :

LISETTE.

Et si, vous la donnant, je vous faisais promettre

De ne la point montrer, me le tiendriez-vous ?

CARLIN.

Oui. Lisette, en honneur, j’en jure à tes genoux.

LISETTE.

Vous m’apprenez comment il faudra me conduire.

De ne la point montrer on a su me prescrire ;

J’ai promis en honneur.

CARLIN.

Oh ! c’est un autre point :

Ton honneur et le mien ne se ressemblent, point.

LISETTE.

Ma foi, monsieur Carlin, j’en serais très fâchée.

Voyez l’impertinent !

CARLIN.

Ah ! vous êtes cachée !

Je connais maintenant quel est votre motif.

Votre esprit en détours serait moins inventif,

Si la lettre touchait un autre que vous-même :

Un traître rival est l’objet du stratagème,

Et j’ai, pour mon malheur, trop su le pénétrer

Par vos précautions pour ne la point montrer.

LISETTE.

Il est vrai ; d’un rival devenue amoureuse,

De vos soins désormais je suis peu curieuse.

CARLIN, en déclamant.

Oui, perfide, je vois que vous me trahissez

Sans retour pour mes soins, pour mes travaux passés ;

Quand je vous promenais par toutes les guinguettes,

Lorsque je vous aidais à plisser vos cornettes,

Quand je vous faisais voir la Foire ou l’Opéra,

Toujours, me disiez-vous, notre amour durera.

Mais déjà d’autres feux ont chassé de ton âme

Le charmant souvenir de ton ancienne flamme.

Je sens que le regret m’accable de vapeurs ;

Barbare, c’en est fait, c’est pour toi que je meurs !

LISETTE.

Non, je t’aime toujours. Mais il tombe en faiblesse.

(Pendant que Lisette le soutient et lui fait sentir son flacon, Carlin lui vole la lettre.)

Pourquoi vouloir aussi lui cacher ma tendresse ?

C’est moi qui, l’assassine. Eh ! vite mon flacon.

(À part.)

Sens, sens, mon pauvre enfant. Ah ! le rusé fripon !

(Haut.)

Comment te trouves-tu ?

CARLIN.

Je reviens à la vie.

LISETTE.

De la mienne bientôt ta mort serait suivie.

CARLIN.

Ta divine liqueur m’a tout réconforté.

LISETTE, à part.

C’est ma lettre, coquin, qui t’a ressuscité.

(Haut.)

Avec toi cependant trop longtemps je m’amuse ;

Il faudra que je rêve à trouver quelque excuse,

Et déjà je devrais être ici de retour.

Adieu, mon cher Carlin.

CARLIN.

Tu t’en vas, mon amour ?

Rassure-moi, du moins, sur ta persévérance.

LISETTE.

Eh quoi ! peux-tu douter de toute ma constance ?

(À part.)

Il croit m’avoir dupée, et rit de mes propos :

Avec tout leur esprit, les hommes sont des sots.

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