CARLIN.
À la fin je triomphe, et voici ma conquête.
Ce n’est pas tout ; il faut encore un coup de tête :
Car, à Dorante ainsi si je vais la porter,
Il la rend aussitôt sans la décacheter ;
La chose est immanquable : et cependant Valère
Vous lui souffle Isabelle, et, sous mon ministère,
Je verrai ses appas, je verrai ses écus
Passer en d’autres mains, et mes projets perdus !
Il faut ouvrir la lettre… Eh ! oui ; mais si je l’ouvre,
Et par quelque malheur que mon vol se découvre,
Valère pourrait bien… La peste soit du sot !
Qui diable le saura ? moi, je n’en dirai mot.
Lisette aura sur moi quelque soupçon peut-être :
Eh bien ! nous mentirons… Allons, servons mon maître,
Et contentons surtout ma curiosité.
La cire ne tient point, tout est déjà sauté ;
Tant mieux : la refermer sera chose facile…
(Il lit en parcourant.)
Diable ! voyons ceci.
« Je vous préviens par cette lettre, mon cher Valère, supposant que vous arriverez aujourd’hui, comme nous en sommes convenus. Dorante est notre dupe plus que jamais : il est toujours persuadé que c’est à Éliante que vous en voulez, et j’ai imaginé là-dessus un stratagème assez plaisant pour nous amuser à ses dépens, et l’empêcher de troubler notre mariage. J’ai fait avec lui une espèce de pari, par lequel il s’est engagé à ne me donner d’ici à demain aucune marque d’amour ni de jalousie, sous peine de ne me voir jamais. Pour le séduire plus sûrement, je l’accablerai de tendresses outrées, que vous ne devez prendre à son égard que pour ce qu’elles valent ; s’il manque à son engagement, il m’autorise à rompre avec lui sans détour ; et s’il l’observe, il nous délivre de ses importunités jusqu’à la conclusion de l’affaire. Adieu. Le notaire est déjà mandé : tout est prêt pour l’heure marquée, et je puis être à vous dès ce soir. »
ISABELLE.
Tubleu ! le joli style !
Après de pareils tours on ne dit rien, sinon
Qu’il faut pour les trouver être femme ou démon.
Oh ! que voici de quoi bien réjouir mon maître !
Quelqu’un vient ; c’est lui-même.