SCÈNE V.

ISABELLE, DORANTE, LISETTE.

ISABELLE.

Ah ! Dorante, bonjour. Quoi ! tous deux tête à tête !

Eh mais ! vous faisiez donc votre cour à Lisette ?

Elle est vraiment gentille et de bon entretien.

DORANTE.

Madame, il me suffit qu’elle vous appartient

Pour rechercher en tout le bonheur de lui plaire.

ISABELLE.

Si c’est là votre objet, rien ne vous reste a faire,

Car Lisette s’attache a tous mes sentiments.

DORANTE.

Ah ! madame…

ISABELLE.

Oh ! surtout, quittons les compliments,

Et laissons aux amants ce vulgaire langage.

La sincère amitié, de son froid étalage

A toujours dédaigné le fade et vain secours :

On n’aime point assez quand on le dit toujours.

DORANTE.

Ah ! du moins une fois heureux qui peut le dire.

LISETTE, bas.

Taisez-vous donc, jaseur.

ISABELLE.

J’oserais bien prédire

Que, sur le ton touchant dont vous vous exprimez.

Vous aimerez bientôt, si déjà vous n’aimez.

DORANTE.

Moi, madame ?

ISABELLE.

Oui, vous.

DORANTE.

Vous me raillez, sans doute ?

LISETTE, à part.

Oh ! ma foi, pour le coup mon homme est en déroute.

ISABELLE.

Je crois lire en vos yeux des symptômes d’amour.

DORANTE.

(Haut, à Lisette, avec affectation.)

Madame, en vérité… Pour lui faire ma cour,

Faut-il en convenir ?

LISETTE, bas.

Bravo ! prenez courage.

(Haut, à Dorante.)

Mais il faut bien, monsieur aider au badinage.

ISABELLE.

Point ici de détour : parlez-moi franchement ;

Seriez-vous amoureux ?

LISETTE, bas, vivement.

Gardez de…

DORANTE.

Non, vraiment,

Madame, il me déplaît fort de vous contredire.

ISABELLE.

Sur ce ton positif, je n’ai plus rien à dire :

Vous ne voudriez pas, je crois, m’en imposer.

DORANTE.

J’aimerais mieux mourir que de vous abuser.

LISETTE, bas.

Il ment, ma foi, fort bien ; j’en suis assez contente.

ISABELLE.

Ainsi donc votre cœur, qu’aucun objet ne tente,

Les a tous dédaignés, et jusques aujourd’hui

N’en a point rencontré qui fût digne de lui ?

DORANTE, à part.

Ciel ! se vit-on jamais en pareille détresse !

LISETTE.

Madame, il n’ose pas, par pure politesse,

Donner à ce discours son approbation ;

Mais je sais que l’amour est son aversion.

(Bas, à Dorante.)

Il faut ici du cœur.

ISABELLE.

Eh bien ! j’en suis charmée,

Voilà notre amitié pour jamais confirmée,

Si, ne sentant du moins nul penchant à l’amour,

Vous y voulez pour moi renoncer sans retour.

LISETTE.

Pour vous plaire, madame, il n’est rien qu’il ne fasse.

ISABELLE.

Vous répondez pour lui ! c’est de mauvaise grâce.

DORANTE.

Hélas ! j’approuve tout : dictez vos volontés.

Tous vos ordres par moi seront exécutés.

ISABELLE.

Ce ne sont point des lois, Dorante, que j’impose ;

Et si vous répugnez à ce que je propose,

Nous pouvons dès ce jour nous quitter bons amis.

DORANTE.

Ah ! mon goût à vos vœux sera toujours soumis.

ISABELLE.

Vous êtes complaisant, je veux être indulgente ;

Et pour vous en donner une preuve évidente,

Je déclare à présent qu’un seul jour, un objet,

Doivent borner le vœu qu’ici vous avez fait.

Tenez pour ce jour seul votre cœur en défense ;

Évitez de l’amour jusques à l’apparence

Envers un seul objet que je vous nommerai ;

Résistez aujourd’hui, demain je vous ferai

Un don…

DORANTE, vivement.

À mon choix ?

ISABELLE.

Soit, il faut vous satisfaire ;

Et je vous laisserai régler votre salaire.

Je n’en excepte rien que les lois de l’honneur :

Je voudrais que le prix fût digne du vainqueur.

DORANTE.

Dieux ! quels légers travaux pour tant de récompense !

ISABELLE.

Oui : mais si vous manquez un moment de prudence,

Le moindre acte d’amour, un soupir, un regard,

Un trait de jalousie enfin, de votre part,

Vous privent à l’instant du droit que je vous laisse :

Je punirai sur moi votre propre faiblesse,

En vous voyant alors pour la dernière fois :

Telles sont du pari les immuables lois.

DORANTE.

Ah ! que vous m’épargnez de mortelles alarmes !

Mais quel est donc enfin cet objet plein de charmes

Dont les attraits pour moi sont tant à redouter ?

ISABELLE.

Votre cœur aisément pourra les rebuter :

Ne craignez rien.

DORANTE.

Et c’est ?

ISABELLE.

C’est moi.

DORANTE.

Vous ?

ISABELLE.

Oui, moi-même.

DORANTE.

Qu’entends-je !

ISABELLE.

D’où vous vient cette surprise extrême ?

Si le combat avait moins de facilité,

Le prix ne vaudrait pas ce qu’il aurait coûté.

LISETTE.

Mais regardez-le donc ; sa figure est à peindre !

DORANTE, à part.

Non, je n’en reviens pas. Mais il faut me contraindre.

Cherchons en cet instant à remettre mes sens.

Mon cœur contre soi-même a lutté trop longtemps ;

Il faut un peu de trêve à cet excès de peine.

La cruelle a trop vu le penchant qui m’entraîne,

Et je ne sais prévoir, à force d’y penser,

Si l’on veut me punir ou me récompenser.

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