SCÈNE VI.

ISABELLE, LISETTE.

LISETTE.

De ce pauvre garçon le sort me touche l’âme.

Vous vous plaisez par trop à maltraiter sa flamme,

Et vous le punissez de sa fidélité.

ISABELLE.

Va, Lisette, il n’a rien qu’il n’ait bien mérité.

Quoi ! pendant si longtemps il m’aura pu séduire,

Dans ses pièges adroits il m’aura su conduire ;

Il aura, sous le nom d’une douce amitié…

LISETTE.

Fait prospérer l’amour ?

ISABELLE.

Et j’en aurais pitié !

Il faut que ces trompeurs trouvent dans nos caprices

Le juste châtiment de tous leurs artifices.

Tandis qu’ils sont amants, ils dépendent de nous :

Leur tour ne vient que trop sitôt qu’ils sont époux.

LISETTE.

Ce sont bien, il est vrai, les plus francs hypocrites !

Ils vous savent longtemps faire les chattemites :

Et puis gare la griffe. Oh ! d’avance auprès d’eux

Prenons notre revanche.

ISABELLE, en soi-même.

Oui, le tour est heureux.

(À Lisette.)

Je médite à Dorante une assez bonne pièce

Où nous aurons besoin de toute ton adresse.

Valère en peu de jours doit venir de Paris ?

LISETTE.

Il arrive aujourd’hui, Dorante en a l’avis.

ISABELLE.

Tant mieux, à mon projet cela vient à merveilles.

LISETTE.

Or, expliquez-nous donc la ruse sans pareilles.

ISABELLE.

Valère et ma cousine, unis d’un même amour,

Doivent se marier peut-être dès ce jour.

Je veux de mon dessein la faire confidente.

LISETTE.

Que ferez-vous, hélas ! de la pauvre Éliante ?

Elle gâtera tout. Avez-vous oublié

Qu’elle est la bonté même, et que, peu délié,

Son esprit n’est pas fait pour le moindre artifice,

Et moins encor son cœur pour la moindre malice ?

ISABELLE.

Tu dis fort bien, vraiment ; mais pourtant mon projet

Demanderait… Attends… Mais oui, voilà le fait.

Nous pouvons aisément la tromper elle-même ;

Cela n’en fait que mieux pour notre stratagème.

LISETTE.

Mais si Dorante, enfin, par l’amour emporté,

Tombe dans quelque piège où vous l’aurez jeté,

Vous ne pousserez pas, du moins, la raillerie

Plus loin que ne permet une plaisanterie ?

ISABELLE.

Qu’appelles-tu, plus loin ? Ce sont ici des jeux,

Mais dont l’événement doit être sérieux.

Si Dorante est vainqueur et si Dorante m’aime,

Qu’il demande ma main, il l’a dès l’instant même ;

Mais si son faible cœur ne peut exécuter

La loi que par ma bouche il s’est laissé dicter,

Si son étourderie un peu trop loin l’entraîne,

Un éternel adieu va devenir la peine

Dont je me vengerai de sa séduction,

Et dont je punirai son indiscrétion.

LISETTE.

Mais s’il ne commettait qu’une faute légère

Pour qui la moindre peine est encor trop sévère ?

ISABELLE.

D’abord, à ses dépens nous nous amuserons ;

Puis nous verrons après ce que nous en ferons.

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