SCÈNE I.

LISETTE, DORANTE, VALÈRE.

LISETTE.

Que vous êtes tous deux ardents à la colère !

Sans moi vous alliez faire une fort belle affaire !

Voilà mes bons amis si prompts à s’engager ;

Ils sont encor plus prompts souvent à s’égorger ;

DORANTE.

J’ai tort, mon cher Valère, et t’en demande excuse :

Mais pouvais-je prévoir une semblable ruse ?

Qu’un cœur bien amoureux est facile à duper !

Il n’en fallait pas tant, hélas ! pour me tromper.

VALÈRE.

Ami, je suis charmé du bonheur de la flamme.

Il manquait à celui qui pénètre mon âme

De trouver dans ton cœur les mêmes sentiments,

Et de nous voir heureux tous deux en même temps.

LISETTE, à Valère.

Vous pouvez en parler tout-à-fait à votre aise ;

Mais pour monsieur Dorante, il faut, ne lui déplaise,

Qu’il nous fasse l’honneur de prendre son congé.

DORANTE.

Quoi ! songes-tu ?

LISETTE.

C’est vous qui n’avez pas songé

À la loi qu’aujourd’hui vous prescrit Isabelle.

On peut se battre, au fond, pour une bagatelle,

Avec les gens qu’on croit qu’elle veut épouser :

Mais Isabelle est femme à s’en formaliser ;

Elle va, par orgueil, mettre en sa fantaisie

Qu’un tel combat s’est fait par pure jalousie ;

Et, sur de tels exploits, je vous laisse à juger

Quel prix à vos lauriers elle doit adjuger.

DORANTE.

Lisette, ah ! mon enfant, serais-tu bien capable

De trahir mon amour en me rendant coupable ?

Ta maîtresse de tout se rapporte à ta foi ;

Si tu veux me sauver cela dépend de toi.

LISETTE.

Point, je veux lui conter vos brillantes prouesses,

Pour vous faire ma cour.

DORANTE.

Hélas ! de mes faiblesses

Montre quelque pitié.

LISETTE.

Très noble chevalier,

Jamais un paladin ne s’abaisse à prier :

Tuer d’abord les gens, c’est la bonne manière.

VALÈRE.

Peux-tu voir de sang froid comme il se désespère,

Lisette ? Ah ! sa douleur aurait dû t’attendrir.

LISETTE.

Si je lui dis un mot, ce mot pourra l’aigrir,

Et contre moi peut-être il tirera l’épée.

DORANTE.

J’avais compté sur toi, mon attente est trompée ;

Je n’ai plus qu’à mourir.

LISETTE.

Oh ! le rare secret :

Mais il est du vieux temps, j’en ai bien du regret ;

C’était un beau prétexte.

VALÈRE.

Eh ! ma pauvre Lisette,

Laisse de ces propos l’inutile défaite ;

Sers-nous si tu le peux, si tu le veux du moins,

Et compte que nos cœurs acquitteront tes soins.

DORANTE.

Si tu rends de mes feux l’espérance accomplie,

Dispose de mes biens, dispose de ma vie ;

Cette bague d’abord…

LISETTE, prenant la bague.

Quelle nécessité ?

Je prétends vous servir par générosité

Je veux vous protéger auprès de ma maîtresse

Il faut qu’elle partage enfin votre tendresse ;

Et voici mon projet. Prévoyant de vos coups,

Elle m’avait tantôt envoyé près de vous

Pour empêcher le mal, et ramener Valère,

Afin qu’il ne vous pût éclaircir ce mystère ;

Que si je ne pouvais autrement tout parer,

Elle m’avait chargé de vous tout déclarer.

C’est donc ce que j’ai fait quand vous vouliez vous battre,

Et qu’il vous a fallu, monsieur, tenir à quatre.

Mais je devais, de plus, observer avec soin

Les gestes, dits et faits dont je serais témoin,

Pour voir si vous étiez fidèle à la gageure.

Or, si je m’en tenais à la vérité pure,

Vous sentez bien, je crois, que c’est fait de vos feux :

Il faudra donc mentir ; mais pour la tromper mieux

Il me vient dans l’esprit une nouvelle idée…

DORANTE.

Qu’est-ce ?

VALÈRE.

Dis-nous un peu…

LISETTE.

Je suis persuadée…

Non… Si… si fait… Je crois… Ma foi, je n’y suis plus.

DORANTE.

Morbleu !

LISETTE.

Mais à quoi bon tant de soins superflus ?

L’idée est toute simple ; écoutez bien, Dorante :

Sur ce que je dirai, bientôt impatiente,

Isabelle chez vous va vous faire appeler.

Venez ; mais comme si j’avais su vous celer

Le projet qu’aujourd’hui sur vous elle médite,

Vous viendrez sur le pied d’une simple visite,

Approuvant froidement tout ce qu’elle dira,

Ne contredisant rien de ce qu’elle voudra.

Ce soir un feint contrat pour elle et pour Valère

Vous sera proposé pour vous mettre en colère :

Signez-le sans façon ; vous pouvez être sûr

D’y voir partout du blanc pour le nom du futur.

Si vous vous tirez bien de votre petit rôle,

Isabelle, obligée à tenir sa parole,

Vous cède le pari peut-être dès ce soir,

Et le prix, par la loi, reste en votre pouvoir.

DORANTE.

Dieux ! quel espoir flatteur succède à ma souffrance !

Mais n’abuses-tu point ma crédule espérance ?

Puis-je compter sur toi ?

LISETTE.

Le compliment est doux !

Vous me payez ainsi de ma bonté pour vous ?

VALÈRE.

Il est fort question de te mettre en colère !

Songe à bien accomplir ton projet salutaire,

Et, loin de t’irriter contre ce pauvre amant,

Connais à ses terreurs l’excès de son tourment.

Mais je brûle d’ardeur de revoir Éliante :

Ne puis-je pas entrer ? Mon âme impatiente…

LISETTE.

Que les amants sont vifs ! Oui, venez avec moi.

(À Dorante.)

Vous, de votre bonheur fiez-vous à ma foi,

Et retournez chez vous attendre des nouvelles.

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