CHAPITRE PREMIER.

ALLEZ par tout le monde, & preschez l'Evangile à toute creature, dit notre Seigneur. C'est le commandement que Dieu donna à ses Apostre, & ensuitte aux personnes Apostoliques, de porter l'Evangile par tout le monde, pour en chasser l'Idolatrie, & polir les moeurs barbares des Gentils, & eriger les trophees des victoires de sa Croix par son Evangile & la predication de son sainct nom. La vanité de sçavoir & apprendre les choses curieuses, & les moeurs & diverses façons de philosopher, ont poussé ce grand Thianeus Appollonius de ne pardonner à aucun travail, pour se remplir & rendre illustre par la cognoissance des choses les plus belles & magnifiques de l'Univers & c'est ce qui le fit courir de l'Egypte toute l'Afrique, passer les colonnes d'hercules, traiter avec les grands hommes, & sages d'Espagne, visiter nos Druides és Gaules, couler dans les delices de l'Italie, pour y voir la politesse, grandeur & gentillesse de l'Empire Romain, de là se couler dans la Grece, puis passer l'Elespong, pour voir les richesses d'Asie, & enfin penetrant les Perses, surmontant le Causase, passant par les Albaniens, Scythes, Massagettes: bref, apres avoir connu les puissans Royaumes de l'Inde, traversé le grand fleuve Phison, arriva enfin vers les Brachmanes, pour ouyr ce grand Hyarcas philosopher de la nature & du mouvement des astres: & comme insatiable de sçavoir, apres avoir couru toutes les provinces où il pensa apprendre quelque chose d'excellent, pour se rendre plus divin parmy les hommes; de tous ses grands travaux ne laissa rien de memorable qu'un chetif livre, contenant les dogmes des Pytagoriens, fagoté, polly, doré, qu'il feignoit avoir appris dans l'Entre trophonine, qui fut receu avec tant d'applaudissement des Anciates, que pour éternizer sa memoire ils le consacrerent au plus haut feste de leur plus magnifique Temple.

Ce grand homme, qui avait acquis par ses voyages tant de suffisance & d'experience, que les Princes, & entr'autres l'Empereur Vespasien, estimoit son amitié de telle sorte, que, soit que ou par vanité, ou à bon escient, qu'il desira se servir de luy en la conduite de son grand Empire, il le convia de s'en venir à Rome avec ses attrayantes paroles, qu'il luy feroit part de tout ce qu'il possedoit, sans en exclure l'Empire, pour monstrer l'estime qu'il faisoit de ce grand personnage; neantmoins il croyoit n'avoir rien remarqué digne de tant de travail, puis qu'il n'avoit pu rencontrer une egalité de justice (à son advis) en l'economie du monde, puisque par tout il avoit trouvé le fol commander au sage, le superbe à l'humble, le querelleur au pacifique, l'impie au devot. Et ce qui luy touchoit le plus le coeur, c'est qu'il n'avoit point trouvé l'immortalité en terre.

Pour moi, qui ne fus jamais d'une si enragee envie d'apprendre en voyageant, puis que nourry en l'escole du Fils de Dieu, sous la discipline reguliere de l'ordre Séraphique sainct François, où l'on apprend la science solide des Saincts, & hors celle-là tout ce qu'on peut apprendre n'est qu'un vain amusement d'un esprit curieux. J'ay voulu faire part au public de ce que j'avois veu en un voyage de la nouvelle France, que l'obeyssance de mes Supérieurs m'avoit fait entreprendre, pour secourir nos Peres qui y estoient desja, pour tascher à y porter le flambeau de la cognoissance du Fils de Dieu, & en chasser les tenebres de la barbarie & infidelité suyvant le commandement que nostre Dieu nous avoit faict en la personne de ses Apostres, afin que comme nos Peres de nostre seraphique Ordre de sainct François, avoient les premiers porté l'Evangile dans les Indes Orientales & Occidentales & arboré l'estendart de nostre redemption és peuples qui n'en avoient jamais ouy parler, ny en cognoissance, à leur imitation nous y portassions nostre zele et devotion, afin de faire la mesme conqueste, & eriger les mesmes trophees de nostre salut, où le Diable avoit demeuré paisible jusqu'à present.

Ce ne sera pas à l'imitation d'Appollonius, pour y polir mon esprit, & en devenir plus sage, que je visiteray ces larges provinces, où la barbarie & la brutalité y ont pris tels advantages, que la suitte de ce discours vous donnera en l'ame quelque compassion de la misere & aveuglement de ces pauvres peuples, où je vous feray voir quelles obligations nous avons à nostre bon JESUS, de nous avoir delivrez de telles tenebres & brutalite, & poly nostre esprit jusqu'à le pouvoir cognoistre et aymer, & esperer l'adoption de ses enfans. Vous verrez comme en un tableau de relief & en riche taille douce, la misere de la nature humaine, viciee en son origine, privee de la culture de la foy, destituee des bonnes moeurs, & en proye à la plus funeste barbarie que l'esloignement de la lumiere celeste peut grotesquement concevoir. Le recit vous en sera d'autant plus agreable par la diversité des choses que je vous raconteray avoir remarquees, pendant environ deux ans que j'y ay demeuré, que je me promets que la compassion que vous prendrez de la misere de ceux qui participent avec vous de la nature humaine, tireront de vos coeurs des voeux, des larmes & des souspirs, pour conjurer le Ciel à lancer sur ces coeurs des lumieres celestes, qui seules les peuvent affranchir de la captivité du Diable, embellir leurs maisons de discours salutaires, & polir leur rude barbarie de la politesse des bonnes moeurs, afin qu'ayans cogneu qu'ils sont hommes, ils puissent devenir Chrestiens, & participer avec vous de cette foy qui nous honore du riche titre d'enfans de Dieu, coheritiers avec nostre doux JESUS, de l'heritage qu'il nous a acquis au prix de son sang, où se trouvera cette immortalité veritable, que la vanité d'Appollonius apres tant de voyages n'avoit pu trouver en terre, où aussi elle n'a garde de se pouvoir trouver.

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