DE dix en dix ans, ou environ, nos Sauvages, & autres peuples Sedentaires, font la grande feste ou ceremonie des Morts, en l'une de leurs villes ou villages, comme il aura esté conclu & ordonné par un conseil general de tous ceux du pays (car les os des deffuncts ne sont ensevelis en particulier que pour un temps) & la font encore annoncer aux autres Nations circonvoysines, afin que ceux qui y ont esleu la sepulture des os de leurs parens les y portent, & les autres qui y veulent venir par devotion, y honorent la feste de leur presence: car tous y sont les biens venus & festinez pendant quelques jours que dure la ceremonie, où 'on ne voit que chaudieres sur le feu, festins & dances continuelles, qui faict qu'il s'y trouve une infinité de bonde qui y aborde de toutes parts.
Les femmes qui ont à y apporter les os de leurs parens, les prennent aux cimetieres: que si les chairs ne sont pas du tout consommées, elles les nettoyent & en tirent les os qu'elles lavent, & enveloppent de beaux Castors neufs, & de Rassade & Colliers de Pourceleines, que les parens & amis contribuent & donnent, disans Tien, voyla ce que je donne pour les os de mon pere, de ma mere, de mon oncle, cousin ou autre parent, & les ayans mis dans un sac neuf, ils les portent sur leur dos, & ornent encore le dessus du sac de quantité de petites parures, de coliers, brasselets & autre enjolivemens. Puis les pelleteries, haches, chaudieres & autres choses qu'ils estiment de valeur, avec quantité de vivres se portent aussi au lieu destiné, & là estans tous assemblez, ils mettent les vivres en un lieu, pour estre employez aux festins qui sont de fort grands fraiz entr'eux, puis pendent proprement par les Cabanes de leurs hostes, tous leurs sacs & leurs pelleteries, en attendant le jour auquel tout doit estre ensevely dans la terre.
La fosse se fait hors de la ville, fort grande & profonde, capable de contenir tous els os, meubles & pelleteries dediees pour les deffuncts. On y dresse un eschaffaut haut eslevé sur le bord, auquel on porte tous les sacs d'os, puis on tend la fosse par tout au fonds & aux costez de peaux & robes de Castors neufves, puis y font un lict de haches, en apres de chaudieres, rassades, coliers, & brasselets de Pourceleine, & autres choses qui ont esté donnees par les parens & amis. Cela faict, du haut de l'eschaffaut les Capitaines vuident & versent tous les os des sacs dans la fosse parmy la marchandise, lesquels ils couvrent encore d'autres peaux neuves, puis d'escorces, & apres rejettent la terre par dessus, & des grosses pieces de bois; & par honneur ils fichent en terre des piliers de de bois tout à l'entour de la fosse, & font une couverture par dessus, qui dure autant qu'elle peut, puis festinent derechef, & prennent congé l'un de l'autre, & s'en retournent d'où ils sont venus, bien joyeux & contens que les ames de leurs parens & amis auront bien dequoy butiner, & le faire riche ce jour-là en l'autre vie.
Chrestiens, r'entrons un peu en nous-mesmes, & voyons si nos ferveurs sont aussi grandes envers les ames de nos parens detenues dans les prisons de Dieu, que celles des pauvres Sauvages envers les ames de leurs semblables deffuncts, & nous trouverons que leurs ferveurs surpassent les nostres, & qu'ils ont plus d'amour l'un pour l'autre, & en la vie & apres la mort, que nous, qui nous disons plus sages, & le sommes moin en effect, parlant de la fidelité & de l'amitié simplement: Car il est question de donner l'aumosne, ou faire quelqu'autre oeuvre pieuse pour les vivans ou deffuncts, c'est souvent avec tant de peine & de repugnance, qu'il semble à plusieurs qu'on leur arrache les entrailles du ventre, tant ils ont de difficulté à bien faire, au contraire de nos Hurons & autres peuples Sauvages, lesquels font leurs presens, & donnent leurs aumosnes pour les vivans & pour les morts, avec tant de gayeté & si librement, que vous diriez à les voir qu'ils n'ont rien plus en recommandation, que de faire du bien, & assister ceux qui sont en necessité, & particulierement aux ames de leurs parens & amis deffuncts, ausquels ils donnent le plus beau & meilleur qu'ils ont, & s'en incommodent quelques-fois grandement, & y a telle personne qui donne presque tout ce qu'il a pour les os de celuy ou celle qu'il a aymée & cherie en cette vie, & ayme encore pares la mort: tesmoin Ongyata, qui pour avoir donné & enfermé avec le corps de sa deffuncte femme (sans nostre sceu) presque tout ce qu'il avoit, en demeurans tres-pauvre, & incommodé, & s'en resjouyssoit encore, sous l'esperance que sa deffuncte femme en seroit mieux accommodee en l'autre vie.
Or par le moyen de ces ceremonies & assemblees, ils contractent une nouvelle amitié & union entr'eux, disans: Que tout ainsi que les os de leurs parens & amis deffuncts sont assemblez & unis en un mesme lieu, de mesme aussi qu'ils devoient durant leur vie, vivre tous ensemblement en une mesme unité & concorde, comme bons parens & amis, sans s'en pouvoir à jamais separer ou distraire pour aucun desservice ou disgrace, comme en effect ils font.