Scène première

FRANÇOIS DE MOOR, pensif dans sa chambre.

Les médecins me font trop attendre… La vie d’un vieillard est une éternité… Faut-il donc que mes plans sublimes se traînent comme les heures d’un vieillard ? Si l’on pouvait frayer à la mort avide un chemin nouveau pour entrer dans le fort de la vie ?… Détruire le corps en déchirant l’âme… Ah ! pour qui en serait l’auteur, quelle découverte !… Une merveille… une conquête… Un second Colomb dans l’empire de la mort… Réfléchis, Moor… Ce serait un art digne de t’avoir pour inventeur… Et par où commencer mon ouvrage ?… Quelle espèce d’émotion furieuse briserait tout à coup la vie dans sa force ?… La colère ?… Souvent ce loup affamé se surcharge et s’étouffe… Le chagrin ? Ce ver se traîne trop lentement… La crainte ?… L’espérance ne lui permet pas de saisir sa victime… (Avec une affreuse méchanceté.) Sont-ce là tous les bourreaux de l’homme ?… L’arsenal de la mort est-il si facilement épuisé ?… Hum ! hum ! (Il s’arrête). Comment ? Eh bien !… quoi ?… Ah ! (Avec transport.) La frayeur ! que ne peut la frayeur ? Que peuvent la raison, l’espérance, la religion, contre les embrassements glacés de ce géant ?… Et… s’il résistait encore à cette secousse… Oh ! alors, viens à mon secours, Douleur, et toi, Repentir, furie infernale, serpent rongeur, monstre qui rumines ta nourriture ; et toi, Remords aux hurlements affreux, toi qui dévastes ta propre maison, qui blesses ta propre mère ; et vous aussi, Grâces bienfaisantes, venez à mon secours ; toi, Passé, aux traits riants, et toi, brillant Avenir, avec ta corne d’abondance, montrez-lui dans vos miroirs les joies du ciel, quand votre pied fugitif échappe à ses bras avides… C’est ainsi qu’assauts sur assauts, sans relâche, j’attaquerai cette vie fragile, jusqu’à ce qu’enfin la troupe des furies la livre… au désespoir !… Triomphe ! triomphe… Mon plan est fait…

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