Scène première

CHARLES MOOR sous le nom de comte de BRAND, et AMÉLIE devant un portrait.

U n habit de religieuse est sur la table.

MOOR, très-ému.

C’était un excellent homme !

AMÉLIE.

Le comte de Brand paraît prendre à lui un vif intérêt.

MOOR, comme perdu dans le plaisir que lui cause le portrait de son père.

Oh ! un excellent homme !… un digne homme… Et il serait mort…

AMÉLIE.

Ainsi passent sans retour nos plus doux plaisirs. (Prenant la main de Moor avec douceur). Comte, aucune félicité ne mûrit ici-bas.

MOOR.

C’est bien vrai… c’est bien vrai. Mais en auriez-vous déjà fait la triste expérience ? À peine avez-vous vingt-deux ans.

AMÉLIE.

Oui, je l’ai faite, cette expérience… Tout vit pour mourir tristement… Nous ne gagnons que pour perdre… Nos cœurs ne s’intéressent aux objets que pour les perdre avec douleur.

MOOR.

Vous avez déjà perdu quelque chose ?

AMÉLIE.

Rien… Tout… Rien.

MOOR.

Et sous l’habit sacré que voilà, voulez-vous apprendre à l’oublier ?

AMÉLIE.

Demain, j’espère… Voulez-vous continuer notre promenade, monsieur le comte ?

MOOR.

Déjà ?… Quel est ce portrait, là, sur la droite ? Je me trompe, ou c’est une physionomie malheureuse.

AMÉLIE.

Ce portrait à gauche, c’est le fils du comte, le seigneur actuel.

MOOR.

Fils unique ?

AMÉLIE.

Venez… venez…

MOOR.

Mais ce portrait-là, sur la droite ?

AMÉLIE.

Vous ne voulez pas descendre dans le jardin ?

MOOR.

Mais ce portrait-là, sur la droite ?… Tu pleures, Amélie ?

( A mélie s’éloigne précipitamment.)

Share on Twitter Share on Facebook