« Les avocats sont prêts, l’accusateur s’avance,
« Les juges, au front morne, ont déjà pris séance. »
GAY. L’opéra du Gueux.
Un sommeil si profond avait succédé à l’agitation que Morton avait éprouvée la veille, qu’il savait à peine où il se trouvait, quand il fut éveillé en sursaut par le bruit des chevaux, les cris des soldats et le son des trompettes. À peine avait-il eu le temps de se lever, que Holliday vint l’avertir, de l’air le plus respectueux, que le général (Claverhouse avait alors ce rang) espérait avoir le plaisir de sa compagnie sur la route.
Il se trouve dans la vie des situations où une invitation est un ordre ; Morton crut avec raison qu’il était dans cette position, et il se rendit sur-le-champ auprès de Claverhouse. Il trouva son cheval sellé et bridé, et Cuddy prêt à le suivre. On semblait les traiter non en prisonniers, mais comme s’ils avaient fait partie de la troupe : cependant on les avait désarmés ; mais Claverhouse remit lui-même à Morton son épée, arme qui, à cette époque, était la marque distinctive d’un homme de qualité. Lorsqu’on se mit en route, il le fit placer à côté de lui, et il semblait prendre plaisir à sa conversation ; mais plus Morton l’entendait parler, plus il se trouvait embarrassé pour fixer ses idées sur son véritable caractère : son urbanité, la politesse de ses manières, ses sentimens généreux et chevaleresques, son dévouement à la cause de son roi, sa pénétration et sa connaissance profonde du cœur humain, forçaient l’approbation et excitaient l’admiration de tous ceux qui conversaient avec lui ; mais son indifférence pour la vie des hommes, les violences et les cruautés qu’il autorisait dans ses soldats, et qu’il leur commandait même quelquefois, son mépris pour tout ce qui était d’une classe inférieure à la sienne, formaient un contraste qui repoussait loin de lui ceux que ses aimables qualités n’auraient pas manqué de subjuguer. Morton ne put s’empêcher de le comparer intérieurement à Burley ; et cette idée prenant possession de son esprit, il laissa échapper quelques mots qui la firent entrevoir.
– Vous avez raison, dit Claverhouse en souriant, parfaitement raison. Nous sommes tous deux des fanatiques ; mais il y a quelque différence entre le fanatisme inspiré par l’honneur et celui que fait naître une sombre et farouche superstition.
– Et cependant vous versez tous deux le sang sans remords et sans pitié ! repartit Morton, incapable de cacher ses sentimens.
– Il est vrai, dit Claverhouse avec le même sang-froid ; mais il y a, je crois, une grande différence entre le sang de braves soldats, de gentilshommes loyaux, de prélats vertueux, et la liqueur rouge qui coule dans les veines de paysans grossiers, d’obscurs démagogues, de misérables psalmodieurs ! Ne faites-vous pas une distinction entre une bouteille d’un excellent vin et un pot de mauvaise bière ?
– Votre comparaison est trop subtile pour moi. Dieu, a donné la vie au paysan comme au prince, et celui qui détruit son ouvrage sans un motif bien puissant, et au gré de son caprice, lui en rendra compte dans l’un comme dans l’autre cas. Et, par exemple, ai-je plus de droit aujourd’hui à la protection du général Grahame que la première fois que je l’ai vu ?
– Et que vous avez vu la mort de si près, voulez-vous dire ? Hé bien, je vous répondrai franchement : je ne voyais alors en vous que le fils d’un ancien chef de rebelles, le neveu d’un vieux laird avare ; maintenant je vous connais mieux : je sais que vous avez un caractère que j’honore dans un ennemi autant que je l’aime dans un ami. J’ai pris bien des informations sur vous depuis notre première rencontre, et j’espère que vous voyez que leur résultat ne vous a pas été défavorable.
– Cependant je suis…
– Vous êtes le même aujourd’hui que vous étiez alors, j’en conviens ; mais comment pouvais-je le savoir ? Ce n’est que depuis ce temps que j’ai appris à vous apprécier. Au surplus, la résistance même que j’ai opposée à ceux qui intercédaient en votre faveur, doit vous prouver que dès lors j’avais conçu une assez haute opinion de vos talens.
– Pensez-vous, général, que je doive être très reconnaissant d’une telle preuve d’estime ?
– Allons, allons, vous faites le pointilleux, reprit Claverhouse. Je vous dis que je vous croyais tout autre. Avez-vous jamais lu Froissart ?
– Non, répondit Morton.
– J’ai envie, dit Claverhouse, de vous procurer six mois de prison pour vous faire jouir de ce plaisir. Ses chapitres m’inspirent plus d’enthousiasme que la poésie elle-même. Avec quel sentiment chevaleresque ce noble chanoine réserve ses belles expressions de douleur pour la mort du brave et noble chevalier, dont la perte est à déplorer, tant sa loyauté était grande, sa foi pure, sa valeur terrible à l’ennemi, et son amour fidèle. Ah, benedicite ! comme il se lamente sur la perte de cette perle de chevalerie, quel que soit le parti qu’elle ait orné. Mais certes, quant à quelques centaines de vilains nés pour labourer la terre, le noble historien témoigne pour eux aussi peu, peut-être moins de sympathie que John Grahame de Claverhouse lui-même.
– Vous avez pourtant, général, un paysan parmi vos prisonniers ; et, malgré le mépris que vous affichez pour une profession que quelques philosophes ont regardée comme aussi utile que celle de soldat, je prendrai la liberté de solliciter vivement votre protection pour lui.
Claverhouse prit son livre de mementos, et y jetant un coup d’œil : – Vous voulez parler, dit-il, d’un Hatherick, Hedderich, ou, – ou, – Headrigg. Oui, Cuthbert, ou Cuddy Headrigg. – Je le tiens ici. – Oh ! ne craignez rien pour lui, s’il veut seulement ne pas être intraitable.
– Les dames de Tillietudlem m’avaient dit un mot en sa faveur. Il doit épouser leur femme de chambre, je crois.
– Je ne lui soupçonne pas l’ambition d’être martyr.
– Tant mieux pour lui ! D’ailleurs, quoi qu’il pût avoir fait, je le protégerais à cause de l’erreur salutaire qui le jeta dans nos rangs la nuit dernière, lorsqu’il cherchait à vous procurer du secours. Il a eu confiance en moi, et c’est un titre pour que je ne l’abandonne pas. Mais, à vous parler sincèrement, il y a long-temps que j’ai les yeux ouverts pour surveiller sa conduite. – Holliday, donnez-moi le livre noir.
Le sous-officier remit à son commandant un registre qui contenait les noms, par ordre alphabétique, de tous ceux qu’on croyait devoir considérer comme suspects d’avoir des intentions hostiles contre le gouvernement. Claverhouse le feuilleta en continuant sa route :
– Gumblegumption, ministre autorisé, âgé de cinquante ans, rusé, hypocrite… Ce n’est pas cela. – Heathercat, prédicateur proscrit, zélé caméronien, tenant un conventicule sur les monts Campsic. – Je me trompe… – Ah ! m’y voici : Cuthbert Headrigg. Sa mère, puritaine exaltée. Quant à lui, c’est un garçon fort simple, mais sans génie ; excellent tireur, meilleur pour la main que pour la tête. On pourrait l’attacher à la bonne cause, sans son attachement pour…
Ici Claverhouse regarda Morton, et ferma son livre.
– Le dévouement, la fidélité, M. Morton, sont des vertus qui ne sont jamais perdues avec moi. Vous pouvez compter sur la vie de ce jeune homme.
– Un esprit comme le vôtre, dit Morton, n’est-il pas révolté d’un système qui exige des enquêtes si minutieuses sur des individus si obscurs ?
– Supposez-vous, répondit le général avec un peu de hauteur, que ce soit NOUS qui prenions cette peine ? Les desservans de chaque paroisse recueillent ces renseignemens pour eux-mêmes. Ils connaissent mieux que personne les brebis noires du troupeau. Il y a trois ans que j’ai votre portrait.
– En vérité ! s’écria Morton ; voudriez-vous me faire le plaisir de me le montrer ?
– Volontiers, répondit Claverhouse, je n’y vois pas d’inconvénient ; car, devant quitter l’Écosse probablement pour quelques années, vous ne pouvez vous venger du peintre.
Ces mots, prononcés avec un air d’indifférence, firent tressaillir Morton en lui annonçant l’exil loin de son pays natal : avant qu’il pût répondre, Claverhouse, ouvrant alors une seconde fois le registre, lut ce qui suit :
– Henry Morton, fils de Silas Morton, colonel de cavalerie pour le parlement d’Écosse, neveu de Morton de Milnwood. – Éducation imparfaite, mais du courage au-dessus de son âge. – Adroit à tous les exercices ; – indifférent pour les formes de religion, mais penchant pour le presbytérianisme. – A des idées exaltées et dangereuses sur la liberté de penser et d’écrire. – Flotte entre les opinions des latitudinariens et celles des enthousiastes. – Fort aimé de tous les jeunes gens des environs. – D’un caractère doux, modeste et tranquille, et cependant un esprit ardent, une tête de feu. Il est…
– Vous voyez, M. Morton, continua le général, que ces mots sont suivis de trois croix rouges, ce qui signifie trois fois dangereux. Vous étiez donc un homme important à surveiller. – Mais que me veut ce messager ?
Un homme à cheval s’approcha de lui en ce moment, et lui remit une lettre. Claverhouse l’ouvrit, la lut avec un sourire dédaigneux, et s’adressant au courrier : – Dites à votre maître, lui dit-il d’un air de mépris, qu’il envoie ses prisonniers à Édimbourg. Il n’y a pas d’autre réponse.
Se tournant alors vers Morton : – C’est un de vos alliés, reprit-il, mais je devrais plutôt dire un allié de votre ami Burley, qui abandonne votre cause. Écoutez son style : « – Mon cher monsieur, » je ne sais pas d’où lui vient ce ton d’intimité, « je supplie Votre Excellence de recevoir mes humbles félicitations sur la victoire que l’armée de Sa Majesté vient de remporter. J’ai l’honneur de vous donner avis que j’ai fait prendre les armes à mes vassaux pour arrêter les fuyards. J’ai déjà fait plusieurs prisonniers, etc. Signé Basile Olifant. » – Vous le connaissez sans doute de nom ?
– N’est-ce pas un parent de lady Marguerite Bellenden ?
– Le dernier héritier mâle de son père, quoiqu’à un degré fort éloigné, amant de la belle Édith, qui lui a été refusée parce qu’il en était indigne, mais surtout admirateur du domaine de Tillietudlem et de toutes ses dépendances.
– Il prenait un mauvais moyen de recommandation auprès de cette famille, dit Morton, en entretenant des liaisons avec notre malheureux parti.
– Oh ! mais le prudent Basile est homme à jouer différens rôles. Il était mécontent – du gouvernement, parce qu’il n’avait pas voulu annuler en sa faveur le testament que le comte de Torwood avait fait au profit de sa fille ; – de lady Marguerite, parce qu’elle lui avait refusé miss Bellenden ; – et de cette dernière, parce qu’elle ne pouvait souffrir sa gaucherie et sa grande taille. Il entra donc en correspondance avec Burley, et fit une levée d’hommes dans le dessein de le secourir, – s’il n’avait pas besoin de secours, c’est-à-dire si vous nous aviez battus hier. – Aujourd’hui que nous sommes vainqueurs, le coquin change de ton : il prétend qu’il n’a agi que pour le service du roi, et je suis porté à croire que le conseil prendra ses protestations pour argent comptant, quoiqu’il sache fort bien que ce n’est que de la fausse monnaie ; et l’on fera pendre ou fusiller quelques douzaines de pauvres fanatiques, tandis que ce fourbe, enveloppé de son hypocrisie comme d’une peau de renard, jouira de l’honneur qui n’est dû qu’à la loyauté.
C’est en conversant ainsi sur différens objets qu’ils parvinrent à trouver moins longue la route qu’ils avaient à faire. Claverhouse parla toujours à Morton avec la plus grande franchise, et le traita en ami et en compagnon plutôt qu’en prisonnier. Henry était encore incertain du sort qui l’attendait, et cependant les heures qu’il passa dans la société de cet homme extraordinaire, dont l’imagination était aussi riche et aussi fertile que sa connaissance du cœur humain était profonde, lui parurent les plus courtes de toutes celles qui s’étaient écoulées depuis qu’il avait été jeté dans le torrent des affaires publiques. Il se trouvait en ce moment comme un cavalier qui a lâché les rênes, et qui, s’abandonnant à son coursier, s’épargne au moins la peine de diriger sa marche.
Ils voyagèrent ainsi jusqu’à Édimbourg, leur suite s’augmentant continuellement de divers détachemens de cavalerie qui les rejoignaient et qui amenaient presque tous un plus on moins grand nombre de prisonniers.
Comme ils étaient sur le point d’entrer dans cette ville :
– Je sais, dit Claverhouse, que le conseil privé, sans doute pour donner, par ses démonstrations de joie, une preuve de la terreur dont il a été frappé, a décidé que nous ferions une espèce d’entrée triomphale dans Édimbourg, traînant à notre suite nos captifs, comme les généraux romains. Mais je n’aime pas à me donner en spectacle, et je veux vous éviter le désagrément d’en faire partie.
Il appela Allan, qui était alors son lieutenant-colonel, le chargea du commandement de la cavalerie ; et, prenant un chemin détourné, il entra incognito dans la ville avec Morton, suivi de quelques domestiques.
En arrivant à la maison qu’il occupait dans une des principales rues d’Édimbourg, il fit entrer Morton dans un appartement, où il le laissa seul en lui disant qu’il comptait sur sa parole de ne pas en sortir.
Après avoir passé un quart d’heure à réfléchir sur les vicissitudes qu’il avait éprouvées depuis un mois, Morton entendit dans la rue un grand bruit qui l’engagea à s’approcher de la fenêtre. Les trompettes, les clairons, les tambours, se faisaient entendre au milieu des acclamations de la multitude, et annonçaient l’arrivée de la cavalerie royale. Les magistrats étaient allés recevoir les vainqueurs à la porte de la ville, et ils marchaient à la tête de la pompe triomphale, précédés de leurs hallebardiers. Derrière eux on portait sur des piques les têtes de deux rebelles, et leurs mains que, par une barbare dérision, l’on approchait souvent l’une de l’autre dans une attitude suppliante. Ces trophées sanglans appartenaient à deux prédicateurs qui avaient été massacrés dans la plaine de Bothwell. Après eux venait une charrette conduite par le valet de l’exécuteur des hautes œuvres, sur laquelle étaient placés Macbriar et deux autres prisonniers, qui paraissaient être de la même profession ; ils étaient tête nue, chargés de fers ; mais ils ne semblaient ni abattus par le destin de leurs compagnons, dont on portait devant eux les tristes restes, ni intimidés par la crainte de la mort à laquelle ces préliminaires leur annonçaient assez clairement qu’ils étaient destinés : ils jetaient des regards fermes sur le peuple qui les entourait, et semblaient en quelque sorte triompher de leurs vainqueurs.
Derrière ces prisonniers abandonnés aux insultes de la canaille, qui leur jetait de la boue et des pierres, marchait un corps de cavaliers brandissant leurs sabres, et poussant des acclamations auxquelles répondaient les cris de la populace, qui, dans toutes les grandes villes, est toujours satisfaite quand on lui permet de se livrer à de bruyantes clameurs.
Venaient ensuite les prisonniers principaux, dont le nombre montait à plus de cent. Ceux qui avaient le grade de chef marchaient en avant : les uns liés sur leurs chevaux, vers la queue desquels leur visage était tourné ; les autres attachés à de pesantes barres de fer qu’ils étaient obligés de porter dans leurs mains, comme les galériens qui voyagent en Espagne pour se rendre au port où ils doivent être embarqués. On portait en triomphe les têtes de ceux qui avaient péri, les unes au bout des piques, les autres dans des sacs, avec les noms de ces malheureux pour étiquette. Tels étaient les objets hideux qui précédaient les victimes encore vivantes de cette procession, victimes qui semblaient dévouées à la mort aussi certainement que si elles avaient été coiffées du san-benito des hérétiques condamnés à figurer dans un auto-da-fe.
Derrière venait la foule obscure des prisonniers : les uns annonçaient par leurs regards fiers et intrépides qu’ils étaient encore convaincus de la justice de la cause pour laquelle ils avaient combattu, et que la mort même ne pouvait refroidir l’ardeur de leur enthousiasme ; les autres, abattus et consternés, semblaient se reprocher l’imprudence qu’ils avaient commise en épousant un parti que la Providence avait abandonné, et déjà ils s’occupaient à chercher quelque subterfuge pour échapper au sort qui les menaçait : quelques uns, accablés de faim, de soif et de lassitude, semblaient un troupeau de moutons qu’un boucher force à marcher vers la tuerie sans qu’ils sachent s’il s’agit de les tondre ou de les égorger ; ils ne laissaient voir ni crainte, ni désir, ni espérance, absorbés par le sentiment de leur malheur, sans en avoir peut-être une idée bien distincte.
Une file de cavaliers bordait leurs rangs de chaque coté, et le reste de la cavalerie était précédé d’une musique militaire qui exécutait des airs de triomphe interrompus à chaque instant par les acclamations de la multitude.
Morton se sentit désolé à la vue d’un pareil spectacle ; et, en reconnaissant parmi les prisonniers et les têtes au bout des piques, des traits qui lui avaient été familiers pendant la courte durée de l’insurrection, il se laissa tomber sur une chaise, dans un état d’horreur et de stupéfaction, et il n’en fut retiré que par la voix de Cuddy : il entra dans la chambre, pâle comme un mort ; ses cheveux se dressaient sur sa tête, et les dents lui claquaient d’effroi.
– Que le ciel nous pardonne, monsieur Henry ! s’écria-t-il ; que Dieu ait pitié de nous ! Il faut que nous paraissions à l’instant devant le conseil : hé ! mon Dieu, que veulent-ils donc qu’un pauvre homme comme moi dise devant tant de lords et de seigneurs ? Mais ce n’est pas tout : ma mère est partie de Glascow ; elle vient pour me voir rendre témoignage, suivant son jargon ; ce qui veut dire pour me voir pendre ! Mais Cuddy n’est pas encore si bête, et s’il peut éviter la corde, au diable tous les témoignages ! – Mais voici Claverhouse lui-même. – Dieu nous préserve ! dirai-je encore une fois.
Claverhouse entra en ce moment. – Il faut vous rendre de suite devant le conseil, M. Morton, lui dit-il en le saluant avec sa politesse et son aisance ordinaires. Votre domestique doit aussi vous y suivre. Vous n’avez rien à craindre pour votre sûreté ni pour la sienne ; mais je vous avertis que vous serez peut-être témoin d’une scène qui vous sera pénible à supporter. J’aurais voulu vous l’éviter, mais je n’ai pu y réussir. Ma voiture nous attend. Partirons-nous ?
C’était encore une de ces invitations dont Morton n’avait aucun moyen de se défendre, quoiqu’elle ne lui fût pas très agréable. Il se leva sur-le-champ et suivit Claverhouse.
En descendant l’escalier : – Oui, lui dit Claverhouse, vous vous tirerez d’affaire à bon marché, et votre domestique en fera autant, s’il peut retenir sa langue.
Cuddy entendit ces paroles, et fut transporté de joie. – Ma langue sera bien tranquille, pensa-t-il ; mais pourvu que ma mère ne vienne pas mettre son doigt, dans le pâté !
Comme il sortait, la vieille Mause, qui le guettait à la porte, le saisit par le bras. – Mon fils ! mon fils ! s’écria-t-elle, que je suis aise et glorieuse, quoique triste et humiliée en même temps, de voir que la bouche de mon fils va rendre témoignage à la vérité en plein conseil, comme son bras l’a fait sur le champ de bataille !
– Paix donc, ma mère, paix donc ! s’écria Cuddy d’un air d’impatience ; est-ce le moment de parler de pareilles choses ? Je ne témoignerai rien d’un coté ni d’un autre ; croyez-vous que j’aie envie d’être pendu ? J’ai parlé à M. Poundtext, que j’imiterai : il a fait toutes les déclarations qu’on a voulu, et il a obtenu grâce pour lui et pour son troupeau ; et voilà un ministre qui gagne bien son argent. Je n’aime pas vos sermons qui finissent par un psaume à Grass-Market.
– Ah ! Cuddy, mon cher Cuddy, je serais fâchée qu’il vous mésarrivât, dit Mause, partagée entre le désir de sauver l’âme ou le corps de son fils ; mais souvenez-vous que vous vous êtes battu pour la foi, et n’allez pas, dans la crainte de perdre les consolations humaines, vous retirer de la sainte lutte !
– C’est bon ! c’est bon !… Sans doute je ne me suis que trop battu ; mais je n’ai pas encore été pendu, et Dieu sait que je ne me laisserai pas pendre, si je puis l’empêcher.
– Mais, mon fils, songez bien que si vous souillez votre robe nuptiale…
– Bah ! bah ! vous voyez qu’on m’attend, reprit Cuddy. Vous me parlez de mariage quand j’ai presque la corde au cou ! Allons, ma mère, adieu, il s’agit de ne pas être pendu !
À ces mots, il pria les cavaliers qui veillaient sur lui de le conduire au conseil immédiatement. Claverhouse et Morton avaient pris les devans.