L’ATLANTIDE

Loin de la multitude où fleurit le mensonge,

Puisque l’âme s’épure et s’exalte en rêvant,

Au gré du souvenir vogue, ô mon Âme, et songe :

Songe à la cendre humaine éparse dans le vent ;

Songe aux crânes heurtés par le soc des charrues ;

Aux débris du passé dans l’inconnu flottant :

Car des mondes sont morts, des cités disparues,

Où la vie eut son heure et l’amour son instant !

*

* *

Aux siècles primitifs, une île, immense et belle,

Nourrice jeune encor d’un peuple de géants,

Livrait à ses fils nus sa féconde mamelle,

Et sa hanche robuste au choc des océans.
Cette terre avait nom l’Atlantide. – Des villes

Y florissaient alors, superbes, par milliers,

Avec leurs parthénons et leurs jardins fertiles,

Et leurs palais de marbre aux antiques piliers.
Aqueducs ! Monuments massifs, aux colonnades

De jaspe, défendus par de grands léopards !

Coupoles de granit ! Innombrables arcades
Brodant de leur dentelle éparse les remparts ! –
L’on eût dit des forêts de pierre. – Les bois vierges

Reflétaient leur verdure aux lacs bleus sans roseaux,
Et l’âme des jasmins et des lis, sur les berges,

Se mariait, légère, à des chansons d’oiseaux !
Un cantique montait d’espérance et de joie

Vers Jupiter très bon, très auguste et très grand :

L’homme tendait les mains à l’azur qui flamboie,

Et le fleuve apaisé priait – en murmurant…

Mais ce monde, marqué du sceau de la colère,

Devait s’anéantir, sans que rien en restât

Que des îlots perdus sur l’onde tumulaire,

– Seuls vestiges épars où notre œil s’arrêtât !

On entendit rugir les forges souterraines,

Tout le sol s’effondra, secoué brusquement…

Et la mer fit rouler ses vagues souveraines

Sur la plaintive horreur de cet écroulement.

*

* *

Cependant, par delà ces monstrueux décombres

Que, sous mille pieds d’eau, tu vois se dessiner,

Ô mon Âme, entends-tu ?… Du fond des lointains sombres,

De prophétiques voix semblaient vaticiner :

*

* *

– « Ainsi les continents, les villes séculaires,

« Les grands monts hérissés de sapins et d’orgueil,

« L’homme et ses passions, le monde et ses colères

« – Cadavres disloqués et mûrs pour le cercueil,
« Gigantesques amas sans nom, épaves mornes –

« S’engloutiront un jour (tout étant accompli)

« Sous les flots ténébreux d’une autre mer sans bornes

« Et plus profonde encor – qui s’appelle l’Oubli !
« Alors, exécutant la suprême sentence,

« L’ombre, comme un déluge, envahira les cieux ;
« Et tout bruit s’éteindra, comme toute existence,

« Dans le néant obscur, vaste et silencieux. »
(Rosa Mystica.)

Stanislas DE GUAITA.

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