XXII LE MARI.

Il tenait deux pistolets à la main. Il était pâle, tremblant ; ses yeux fixes et immobiles étaient attachés sur le baron, auquel il dit d’une voix où frissonnait la colère :

– Qui vous l’a dit, Monsieur ?

Il est assez difficile de peindre la stupéfaction de Luizzi et l’alarme réelle qu’il éprouva en voyant paraître M. de Cerny ainsi armé. Assurément, s’il se fût trouvé chez un homme de basse nature dont il eût découvert quelque crime abominable, il n’aurait pas craint de le voir se porter à de plus odieux excès pour éviter l’échafaud, que ce grand seigneur de haute naissance pour échapper au ridicule. Ne sachant que répondre à l’interpellation de M. de Cerny, Luizzi, à qui la vanité ne permettait pas de montrer la moindre faiblesse en face d’un homme de son rang, se tourna froidement vers la comtesse en lui disant :

– Ainsi, Madame, c’était un guet-apens… ?

Mais l’épouvante et l’étonnement qui se peignaient sur le visage de madame de Cerny lui prouvèrent mieux que toutes ses réponses qu’elle était aussi étonnée que lui de l’apparition du comte.

– Vous, vous ici ! s’écria-t-elle en s’adressant à son mari.

– Oui, moi, dit le comte, moi qui ai appris chez madame de Marignon avec quelle chaleur Monsieur avait pris la défense de madame de Carin ; moi à qui l’on a répété l’empressement qu’il avait montré à vous rassurer, moi qui ai su votre curiosité et qui l’ai partagée.

– Eh bien ! Monsieur ? dit le baron.

– Eh bien ! Monsieur, repartit M. de Cerny, cette curiosité n’est pas satisfaite.

– Et je ne puis la satisfaire.

– Ce sera donc Madame qui le fera pour vous, Monsieur.

– Moi ? reprit la comtesse.

– Vous, Madame, repartit le comte en poussant les verrous des deux portes qui conduisaient au boudoir.

– Vous avez vu mon anxiété, vous avez entendu mes questions, Monsieur, dit la comtesse.

– J’ai entendu la réponse de M. de Luizzi. Il sait, a-t-il dit, ce que je vous ai appris moi-même la première nuit de nos… de vos… enfin, dans cette première nuit de noces. Un secret tel que le mien peut à toute force se deviner ; mais une circonstance comme celle dont M. le baron de Luizzi a parlé a dû être confiée. Nous étions seuls, Madame, et ce n’est pas moi qui ai fait des récits plaisants de cet entretien.

– Mais, Monsieur, dit la comtesse, la manière dont j’ai interrogé monsieur de Luizzi a dû vous apprendre…

– Que ce n’est pas à lui que vous avez fait des confidences, je n’en doute pas, mais vous les avez faites à quelqu’un assurément ; et si vous me dites, vous, à qui vous les avez faites, et Monsieur, de qui il les a reçues, il est possible que j’apprenne par quelle filière elles ont passé.

– Sur mon âme ! Monsieur, je vous jure, s’écria la comtesse, que jamais aucun mot de moi n’a pu faire soupçonner…

– Ne mentez pas contre l’évidence, Madame ! répondit M. de Cerny dont la fureur mal contenue éclata tout à coup. Puisque Monsieur sait tout ce qui s’est passé entre vous et moi, c’est que, vous ou moi, nous l’avons dit.

– Mais enfin, reprit Luizzi, que prétendez-vous ? que voulez-vous ?

– Vous ne m’avez donc pas compris encore ? repartit le comte. Impuissant ! avez-vous dit. Impuissant à donner la vie, je ne le serai pas du moins à donner la mort.

– Un assassinat ! s’écria madame de Cerny en se levant avec épouvante.

– Non, Madame, repartit amèrement M. de Cerny ; une vengeance, une vengeance que la loi a prévue, et que la loi autorise puisqu’elle l’excuse ! Je trouve chez ma femme l’amant de ma femme, et je le tue.

– Monsieur ! s’écria la comtesse de Cerny, ce sont deux crimes abominables : vous tuez un homme et vous déshonorez votre femme… et il faudra me tuer aussi, car je vengerai à mon tour le meurtre que vous aurez commis.

– Tous les deux alors, dit le comte amèrement.

– Mais c’est impossible ! s’écria la comtesse éperdue, tandis que Luizzi restait anéanti et muet. C’est impossible ! on entendra nos cris… on viendra… Vous ne nous tuerez pas si bien l’un et l’autre que l’un de nous ne puisse appeler.

– Avant d’approcher d’ici, dit le comte, j’ai éloigné tout le monde. Puis il ajouta :

– J’ai prévu votre résistance, et rien ne peut vous sauver.

En parlant, ainsi, il fit un pas en arrière et s’appuya à la porte comme pour prévenir toute fuite et donner l’espace nécessaire à la direction de ses coups. Il arma ses pistolets.

– Monsieur ! s’écria la comtesse, c’est un crime horrible, un crime pour lequel il n’y a ni excuse ni pardon.

– C’est un crime que votre trahison a seule appelé.

– Quelle trahison ? Je suis innocente, je vous le jure, innocente de toute trahison. Le nom que vous m’avez donné, je l’ai respecté.

– Oui, dit le comte en ricanant, dans tout ce qui m’était devenu indifférent.

– Ah ! repartit la comtesse avec dégoût, ne me rappelez pas ce que vous avez osé me dire ; c’est là votre premier crime, et, du jour où vous avez osé parler ainsi à votre femme, je devais m’attendre à vous voir couronner tant de lâcheté par un assassinat.

Le comte haussa les épaules en laissant échapper un rire méprisant, puis il repartit d’un ton indéfinissable de raillerie :

– Allons donc ! Madame, ne faites pas de la vertu hors de propos. Je vous ai dit, et je veux bien le répéter devant Monsieur, car il doit le savoir aussi, je vous ai dit que je voulais être généreux envers vous, que je ne voulais pas avoir enchaîné votre existence à celle d’un cadavre, que je saurais supporter sans vengeance ce que le monde appelle un affront et ce que je nommais, moi, une consolation ; je vous ai dit qu’à part le scandale que je ne souffrirais jamais, j’étais disposé à tout permettre, me résignant d’avance à un sort que tant d’autres n’acceptent qu’après coup. Je vous ai dit cela, ç’a été peut-être une folie d’amour, la seule folie qui me fût permise, mais non pas une lâcheté.

– Ç’a été une lâcheté, Monsieur, s’écria la comtesse exaspérée, une lâcheté ! car vous avez prévu que mon adultère pouvait un jour détruire les soupçons que peut faire naître ma stérilité, et qu’un héritier de votre nom, sinon de votre sang, serait la meilleure réponse à toutes les suppositions.

– C’est vrai, Madame, dit le comte avec l’horrible impudence d’un homme qui, poussé au crime, en aborde franchement le cynisme.

Le baron se leva alors et répondit froidement :

– Finissons-en, Monsieur ; car, si j’ai pu espérer tout à l’heure qu’à l’instant de le commettre, un double meurtre répugnerait à un homme que je ne croyais qu’égaré par une colère insensée, je dois reconnaître que celui qui a fait une telle proposition à une femme est capable de tous les forfaits lâches et bas.

À cette apostrophe du baron, le comte répondit encore par ce rire cruel qui décelait le transport furieux de son âme. Il garda un moment le silence, puis reprit tout à coup :

– Eh bien ! Monsieur, cette proposition je l’ai faite et je la renouvelle.

– Que voulez-vous dire ? reprit la comtesse.

– Allons, monsieur de Luizzi, s’écria le comte amèrement, mon beau monsieur de Luizzi, qui parlez un si doux langage aux femmes et qui les raillez si spirituellement sur les malheurs de leur mari, en voici une que je vous donne à consoler… Elle est belle, elle est jeune, elle a tous les attraits, même celui qu’on ne rencontre guère chez une femme mariée… Eh bien ! cette femme, je vous la livre, devenez son amant sur l’heure, et même devant moi, et je vous pardonne à tous les deux, à vous, parce que je vous crois très-capable de perpétuer le nom qui va s’éteindre en moi ; à Madame, parce qu’elle aura à garder le secret d’une faute qui déshonore.

Madame de Cerny tomba assise en se cachant la tête dans les mains, Luizzi repartit :

– En vérité, Monsieur, je ne croyais pas qu’il fût possible d’ajouter quelque chose à votre infamie… et cette ignoble plaisanterie…

– Une plaisanterie, monsieur le baron ? dit le comte en ricanant toujours ; point du tout, je vous le jure. C’est sérieusement que je vous parle. Eh quoi ! ce boudoir si coquet, cette femme si belle, ces parfums d’amour, tout cela ne vous transporte pas, ne vous exalte pas ?… Comment donc ! je crois que la peur vous a réduit à un plus misérable état que le mien. Montrez donc un peu de courage, un peu de présence d’esprit. Sur l’honneur je vous jure que, si vous êtes capable de faire ce que je vous demande, vous sortirez d’ici après avoir possédé la plus belle, la plus noble, la plus séduisante femme du monde ; tout ce que vous avez d’esprit et de séduction ne vous donnera jamais une si charmante maîtresse… Mais, voyons donc, Monsieur : c’est dans les grandes circonstances que se montrent les grands cœurs !

– Ah ! repartit Luizzi avec dégoût, vous êtes un infâme !

– Eh bien ! s’écria la comtesse en se relevant d’un air égaré, j’accepte, moi. C’est par ma curiosité que j’ai conduit M. de Luizzi dans le piége où il doit périr ; s’il faut mon honneur pour le sauver, qu’il le prenne ! Je me donnerai à lui… je le sauverai !

Le comte devint livide à cette réponse ; mais il renferma la nouvelle rage qui s’allumait en lui, tandis que Luizzi s’écriait :

– Oh ! Madame, Madame, votre douleur vous égare…

– Ceci n’est pas galant, monsieur le baron, dit le comte en riant. Voyez ! Madame se prête de bon cœur à la plaisanterie : est-ce que cela vous est plus difficile qu’à elle, mon cher Monsieur ? Que vous manque-t-il donc pour obtenir le plus ineffable des bonheurs ?

Rien ne peut exprimer la rage de Luizzi, tremblant au bout d’un pistolet et pour un sujet pareil. D’ailleurs, ce qui lui arrivait était tellement en dehors de toutes les positions où un homme peut se rencontrer, qu’il en était plus encore abasourdi qu’épouvanté. Ce fut alors que, ne sachant que dire, il s’écria :

– Allons, Monsieur, tirez là, au cœur. Finissons-en, tuez-moi vite : vous avez quelque intérêt à ne pas me manquer.

En disant ces paroles, le baron écarta violemment son habit pour mieux présenter sa poitrine à la balle de M. de Cerny, et le soulier du Diable, qu’il avait mis dans sa poche, s’échappa et roula sur le tapis. Par un mouvement machinal, le comte jeta les yeux sur cet objet ; et, soit que le soulier l’étonnât véritablement, soit qu’il ne fût pas fâché de trouver un prétexte pour reculer encore l’exécution d’un crime qui l’épouvantait malgré lui, il reprit de son ton railleur :

– Pour Dieu ! voilà un singulier portefeuille !…

À son tour Luizzi pensa que cet accident était un secours inespéré du Diable ; et, reprenant quelque assurance, il répondit d’un ton non moins railleur :

– Un portefeuille qui renferme de terribles secrets, et qui peut-être dira un jour celui de l’attentat qui va se commettre ici.

– Renfermerait-il le secret que vous avez dit à Madame ? repartit le comte du même ton amer.

– Oui vraiment, dit Luizzi ; car c’est le soulier de celui qui me l’a raconté et qui l’a laissé tout à l’heure dans ma voiture.

Le comte, par un mouvement emporté, ramassa le soulier et l’examina avec une sombre attention.

– Il est d’une rare coquetterie, dit-il, et peu d’hommes pourraient le chausser.

– Je le crois ! dit Luizzi, qui se trouvait en veine de présence d’esprit.

Le comte jeta un regard rapide sur les pieds du baron, comme pour les comparer au soulier qu’il tenait. Il sembla reconnaître qu’il ne pouvait appartenir à Luizzi, et murmura d’une voix basse et lente comme un homme à qui vient une idée qui s’éclaircit peu à peu :

– Il y a peu d’hommes, en effet, qui puissent chausser un tel soulier ; mais il y en a un que l’on vante pour l’élégance de son pied mignon et pour le soin qu’il a de le produire ; et celui-là… celui-là peut-être est le seul à qui une femme oserait confier un tel secret, sans croire manquer à ses devoirs ; celui-là serait peut-être aussi plus infâme qu’un autre, s’il l’avait trahi ; celui-là…

Le comte, en parlant ainsi, retournait le soulier en tous sens, lorsque tout à coup il s’approcha vivement de la bougie, car il avait découvert un nom écrit, comme c’est l’habitude, au fond du soulier, et il s’écria tout à coup :

– C’est lui !… c’est l’abbé Molinet !… c’est votre confesseur, Madame !

– L’abbé Molinet ! s’écria madame de Cerny. Jamais, je vous le jure !…

– Oh ! ne mentez pas ! dit le comte d’un ton devenu tout à fait sévère ; ne détruisez point par des serments inutiles la seule chance que j’aie de vous pardonner. Un prêtre ! un prêtre ! trahir le secret de la confession ! Mais celui-là est capable de tout. Le désordre qu’il a jeté dans la maison de M. d’Arnetai prouve assez jusqu’où il peut porter ses indignes investigations. Mais, en vérité, Madame, je croyais qu’il n’y avait que la sottise d’une femme comme madame d’Arnetai qui pût se laisser dominer par les conseils impudiques d’un prêtre effronté.

La comtesse regardait Luizzi avec un étonnement que le baron comprenait, mais qu’il ne pouvait ni ne voulait expliquer. En effet, il croyait entrevoir la possibilité que la rage du comte se tournât contre un autre que lui-même, et, dans le péril pressant où il se trouvait, il ne se sentait pas la générosité de se sacrifier à la sûreté d’un innocent, que le Diable, après tout, saurait bien défendre, puisque c’était lui qui l’avait compromis. Le comte gardait aussi un terrible silence ; enfin, il regarda tour à tour Luizzi et la comtesse.

– Ainsi, dit-il, vous êtes trois qui savez cet horrible secret ? c’est toujours le même compte de victimes ; car vous, Madame, je vous pardonne. Vous êtes dévote ; je n’ai pas pu empêcher cette passion, je ne puis donc vous en vouloir. Quant à vous, baron de Luizzi, il faut mourir.

Ce mot, en détruisant l’espérance du baron, lui rendit son courage d’homme d’honneur, et il répondit froidement :

– En ce cas, épargnez-vous un crime inutile. Je ne connais point l’abbé Molinet, et ce n’est pas lui qui m’a dit votre secret.

– Défaite misérable et tardive ! dit le comte. Votre réponse a été trop franche ; il était dans votre voiture tout à l’heure ; il allait sans doute chez madame d’Arnetai, dont l’hôtel est à deux pas. D’ailleurs, je saurai bientôt si c’est lui.

– Allez donc l’interroger, monsieur le comte ! dit le baron.

– Non, Monsieur, je ne l’interrogerai pas ; je serai plus adroit, car j’aurais fait un excellent juge d’instruction, je vous le jure, et je vais vous le prouver. On n’oublie pas un soulier dans une voiture, à moins d’une circonstance qui s’explique merveilleusement par les habitudes provinciales de M. Molinet. Comme notre abbé n’a pas une fortune princière, il en est réduit à faire à pied ses plus belles visites ; il en résulte que la coquetterie de monsieur l’abbé brave la boue de la rue dans une chaussure ad hoc, qu’il remplace rapidement par ces charmants souliers, au moment d’entrer dans une maison. Je vais chez d’Arnetai, où l’abbé doit être encore ; s’il n’y est pas, je cours chez lui et je lui présente ce soulier de votre part. Son trouble me dira ce que je dois croire ; je saurai bien le faire parler ensuite, et, si ce que vous m’avez avoué est vrai, son arrêt sera prononcé aussi irrévocablement que le vôtre, monsieur le baron.

– Vous avez oublié le mien ! dit la comtesse. Songez bien à ce que je vous dis, monsieur le comte : si vous commettez ce crime, je vous accuserai tout haut, et partout, je vous le jure devant Dieu !

– Eh bien donc ! il en sera pour vous comme pour eux, repartit M. de Cerny.

– Soit ! Monsieur, dit la comtesse, frappez ; mais je ne veux pas vous laisser une erreur dans laquelle vous pourriez vous endormir. Après ces meurtres, il faudra recommencer. Je ne sais qui a dit la vérité à M. de Luizzi ; mais ce n’est pas M. Molinet, car ce n’est pas à lui que je l’ai confiée.

– Ce n’est pas à lui ! s’écria le comte furieux. À qui donc, malheureuse ?

– À un homme que j’aime, à un homme qui devinera pourquoi vous m’avez tuée et qui me vengera, monsieur le comte.

– À un amant, peut-être ? dit M. de Cerny en reprenant son froid ricanement.

– Oui, Monsieur.

– C’est une mauvaise ruse, Madame, à laquelle je ne crois pas, reprit-il en se remettant tout à fait. Non, Madame, la chose s’explique trop clairement. De vous à M. l’abbé, de l’abbé à Monsieur : voilà les intermédiaires, voilà les voix qu’il faut réduire au silence.

La longueur de cette discussion avait produit sur les trois acteurs de cette singulière scène une lassitude de leurs propres sentiments, qui faisait qu’ils étaient tous les trois bien loin de leur première exaltation. Luizzi n’en était plus à ces beaux mouvements de bravade où il invitait le comte à le tuer. Madame de Cerny, abattue par la nature des sensations qu’elle avait éprouvées, était tombée sur ce divan où elle paraissait si belle une heure auparavant, et le comte, retiré à l’entrée du boudoir, ne se sentait plus ce transport furieux qui aurait pu, dans un des divers endroits de cet entretien, lui faire exécuter son horrible projet. Mais à mesure que le courage lui manquait, la réflexion revenait pour l’irriter. Il ne s’agissait plus pour lui, en effet, d’éviter un ridicule dont la crainte l’avait poussé à des menaces si épouvantables ; c’étaient ces menaces même dont il lui fallait anéantir le souvenir. La comtesse et Luizzi ne pouvaient sortir de ce boudoir après ce qu’il avait osé leur dire. Cette pensée tortura longuement la tête du comte, sans toutefois lui rendre la furieuse résolution qu’il avait usée dans cette longue dispute. Il en était réduit à cet horrible besoin de tuer par nécessité et non plus par colère, lorsque, s’exaspérant tout à coup contre lui-même, il reprit, comme un homme qui cherche à s’étourdir par ses propres cris et à s’animer par des mouvements désordonnés :

– Allons, baron, allons, Madame, vous l’avez voulu, que votre volonté soit faite !

En disant ces mots, il dirigea le bout de l’un de ses pistolets contre le baron, qui recula en poussant un cri.

– Ah ! vous avez peur ? dit M. de Cerny, qui, malgré lui, ne pouvant plus se monter jusqu’à l’égarement nécessaire à un pareil crime, saisit rapidement toute chance de l’éviter.

– Peur ! dit le baron, en surmontant ce premier mouvement de faiblesse ; non, monsieur le comte. Mais il est des dangers auxquels nul homme n’est préparé ; ceux d’un assassinat lâchement prémédité sont de ce nombre.

– Eh bien ! dit le comte, vous pouvez vous sauver tous les deux. Ce que je vous disais tout à l’heure, vous pouvez l’accomplir, et de manière à me satisfaire. Voici comment : Madame va vous écrire quelques-unes de ces lettres qu’on envoie à un amant, des lettres à des dates différentes, entendez bien ; vous ferez des réponses à ces lettres, telles qu’elles puissent prouver que Madame a été votre maîtresse. Je veux une véritable correspondance amoureuse d’amants heureux ; et enfin vous m’en écrirez chacun une à moi-même, où vous direz que vous me remettez cette correspondance, en reconnaissant que je vous ai fait grâce de la vie à tous les deux, à l’un comme à un lâche, à l’autre comme à une femme déshonorée. Une fois que j’aurai ces preuves en main, vous pourrez vivre, et je vous rendrai la liberté de sortir d’ici, si cela vous convient.

– Jamais ! s’écria le baron.

– Je ne veux pas de discussion, dit violemment le comte ; je vous laisse une heure pour réfléchir et pour consentir à ce que je vous demande. Si dans ce délai tout n’est pas accompli, c’est que vous aurez préféré la mort. Quant à l’abbé Molinet, ajouta-t-il en jetant le soulier à terre, je sais un moyen certain de le faire taire. Le comte sortit, laissant la comtesse et Luizzi en présence.

Share on Twitter Share on Facebook