Deuxième préface.

Racine était un hypocrite lâche et sournois, car il a peint Néron ; tout comme Richardson, cet imprimeur puritain et envieux, était sans doute un admirable séducteur de femmes car il a fait Lovelace. L’auteur du roman que vous allez lire, ô lecteur bénévole, si vous avez beaucoup de patience, est un républicain enthousiaste de Robespierre et de Couthon. Mais, en même temps, il désire avec passion le retour de la branche aînée et le règne de Louis XIX. Mon éditeur m’a assuré qu’on m’imputerait toutes ces belles choses, non par malice, mais en vertu de la petite dose d’attention que le Français du XIXe siècle accorde à tout ce qu’il lit. Ce sont les journaux qui l’ont mis là.

Pour peu qu’un roman s’avise de peindre les habitudes de la société actuelle, avant d’avoir de la sympathie pour les personnages, le lecteur se dit : « De quel parti est cet homme-là ? » Voilà la réponse : « L’auteur est simplement partisan modéré de la Charte de 1830. » C’est pourquoi il a osé copier, jusque dans les détails, des conversations républicaines et des conversations légitimistes, sans prêter à ces partis opposés plus d’absurdités qu’ils n’en ont réellement, sans faire des caricatures, parti dangereux qui fera peut-être que chaque parti croira l’auteur partisan forcené du parti contraire.

L’auteur ne voudrait pour rien au monde vivre sous une démocratie semblable à celle d’Amérique, pour la raison qu’il aime mieux faire la cour à M. le ministre de l’Intérieur qu’à l’épicier du coin de la rue.

En fait de partis extrêmes, ce sont toujours ceux qu’on a vus en dernier lieu qui semblent les plus ridicules. Du reste, quel triste temps que celui où l’éditeur d’un roman frivole demande instamment à l’auteur une préface du genre de celle-ci. Ah ! qu’il eût mieux valu naître deux siècles et demi plus tôt, sous Henri IV, en 1600 ! La vieillesse est amie de l’ordre et a peur de tout. Celle de notre homme, né en 1600, se fût facilement accommodée du despotisme si noble du roi Louis XIV et du gouvernement que nous montre si bien l’inflexible génie du duc de Saint-Simon. Il a été vrai, on l’appelle méchant.

Si, par hasard, l’auteur de ce roman futile avait pu atteindre à la vérité, lui ferait-on le même reproche ? Il a fait tout ce qu’il fallait pour ne le mériter en aucune façon. En peignant ces figures, il se laissait aller aux douces illusions de son art, et son âme était bien éloignée des pensées corrodantes de la haine. Entre deux hommes d’esprit, l’un extrêmement républicain, l’autre extrêmement légitimiste, le penchant secret de l’auteur sera pour le plus aimable. En général, le légitimiste aura des manières plus élégantes et saura un plus grand nombre d’anecdotes amusantes ; le républicain aura plus de feu dans l’âme et des façons plus simples et plus jeunes. Après avoir pesé ces qualités d’un genre opposé, l’auteur, ainsi qu’il en a déjà prévenu, préférera le plus aimable des deux ; et leurs idées politiques n’entreront pour rien dans les motifs de sa préférence.

Share on Twitter Share on Facebook