24 octobre

Combien je regrette de n’avoir pas mon phonographe. Rien ne m’ennuie comme d’écrire mon journal à la plume, mais Van Helsing dit qu’il le faut. Nous avons eu un accès de folle agitation quand ce matin Godalming a reçu le télégramme du Lloyd. Je sais à présent ce que les soldats peuvent éprouver en entendant le signal de l’attaque. Seule de nous tous, Mrs Harker ne donne aucune marque d’émotion, car nous eûmes soin de lui laisser tout ignorer et de ne rien lui laisser voir de notre impatience. Autrefois, j’en suis sûr, elle aurait tout remarqué, quelque peine que nous eussions prise pour dissimuler, mais, sous ce rapport, elle a beaucoup changé depuis les trois dernières semaines. Une léthargie s’étend sur elle ; quoiqu’elle semble forte et bien portante et qu’elle ait repris ses anciennes couleurs, Van Helsing et moi nous ne sommes pas satisfaits. Nous parlons souvent d’elle, sans du reste en rien dire aux autres. Ce serait briser le cœur – et sûrement les nerfs – du pauvre Harker que de lui laisser deviner nos soupçons. Van Helsing examine attentivement, me dit-il, ses dents tandis qu’elle est en état d’hypnose, assurant qu’aussi longtemps qu’elles ne deviennent pas plus aiguës, il n’y a pas danger urgent d’une transformation. Si cette transformation s’amorçait, il faudrait prendre des mesures. Nous savons ce qu’elles seraient, quoique nous n’échangions pas nos pensées à ce sujet. Aucun de nous ne reculera devant la tâche, si affreuse qu’elle puisse être. Euthanasie est un mot excellent et réconfortant ! J’ai de la reconnaissance pour celui qui l’a inventé.

Il y a environ vingt-quatre heures de mer des Dardanelles jusqu’ici, à l’allure que le Tsarine Catherine a pratiquée depuis Londres. Le bateau devrait donc arriver demain matin ; comme ce ne peut être plus tôt, nous avons décidé de nous retirer et de nous lever à une heure afin d’être prêts.

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