Post-scriptum

Ainsi finit l’histoire.

— Et Wolfrang ? et Sylvia ? – dira peut-être notre lecteur ; – qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? où vont-ils ?

— Qui sont-ils ?

— Oui.

Un soir de cet hiver, la bise du nord, chargée de neige, soufflait dans la montagne qui surplombe ma demeure ; j’étais au coin de mon foyer solitaire ; soudain Wolfrang et Sylvia ont apparu à mon esprit, brillants de tous les dons du cœur, de l’intelligence, de la grâce, de la beauté, de la richesse, du génie et de l’amour.

Mais, hélas ! dans mon impuissance de reproduire ces idéalités adorables, à peine ai-je tracé, dans mon infinité, leur ébauche grossière, presque méconnaissable.

Et cependant, quel ravissement j’éprouvais dans l’intimité charmante de ces deux personnages !

Ils ont pendant longtemps – bénis soient-ils ! – été les compagnons assidus de ma solitude et de mon exil. Chère Sylvia ! cher Wolfrang ! que de douces heures je vous ai dues ! Combien je me plaisais avec vous ! Quels regrets j’éprouve à vous quitter à cette heure !

— Et où vont-ils ?

— Ils remontent dans le pays des rêves, ils s’envolent vers les régions de l’idéal.

— Mais leur naissance, leur nom, leur signalement, leur patrie, leur état civil, leur condition sociale, leurs antécédents ?

— Que sais-je ! Ils sont venus à moi sans passe-port, sans le moindre papier qui pût constater leur identité. Inconnus ils sont venus, inconnus ils s’en retournent.

— Mais c’est absurde : un livre ne se termine pas ainsi.

— Peut-être ce livre est-il achevé, peut-être ne l’est-il point. Il est possible qu’un jour je voie de nouveau m’apparaître Wolfrang et Sylvia, en compagnie des ÉLUS DE CE MONDE ou plutôt de cette histoire : le libraire Lambert, Dubousquet, Antonine Jourdan, madame Borel, Alexis, le marquis Ottavio, Tranquillin ; – tandis que les DAMNÉS DE CE MONDE : Francheville, Saint-Prosper, le banquier Borel, Luxeuil, Cri-Cri, le duc et la duchesse della Sorga, Felippe, sachant le secret de leurs vices, de leurs turpitudes, de leurs friponneries, de leurs trahisons, de leurs crimes, au pouvoir de Sylvia et de Wolfrang, se seront peut-être ligués contre ceux-ci. Alors une lutte acharnée, inexorable, s’engagerait entre les élus et les damnés, etc., etc. Et la victoire, apparente ou réelle, resterait… Mais n’anticipons pas.

En attendant ces futurs contingents, ami lecteur, – si toutefois tu m’es ami, – je te remercie de l’attention que tu as bien voulu prêter à cette esquisse très-imparfaite d’une philosophie dont le seul mérite est d’être consolante et vraie. Oui, vraie ; souviens-toi ; car, qui que tu sois, ami lecteur, tu n’es pas sans avoir en ta vie, dans une certaine mesure, fait le MAL et le BIEN. Interroge sincèrement ta conscience.

Dis ! n’as-tu pas trouvé EN TOI-MÊME LA PUNITION DU MAL, LA RÉCOMPENSE DU BIEN ?

D’où je conclus qu’en dehors des peines ou des récompenses éternelles, – dont j’ignore absolument, je le confesse en toute humilité, – il existe en ce monde-ci des ÉLUS et des DAMNÉS qui TROUVENT EN LEUR ÂME L’ENFER OU LE PARADIS.

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