XXIV

Quinze jours après l’aventure que je viens de raconter, un pli volumineux m’arriva par la poste.

Ce pli portait des timbres anglais.

Je l’ouvris.

Il contenait un manuscrit divisé en cinq cahiers.

C’étaient les Mémoires de Rocambole, depuis le jour où il avait disparu, à la suite de son étrange duel avec la russe Vasilika.

La première partie s’appelait les Ravageurs, la seconde les Millions de la Bohémienne, la troisième la Belle Jardinière, la quatrième enfin le Retour de Rocambole.

Nos lecteurs connaissent tous les détails de cette quadruple épopée.

Mais ce qu’ils ne connaissent pas, c’est la lettre d’envoi qui accompagnait le manuscrit.

Elle était datée de la prison de Newgate et conçue en ces termes :

« Monsieur,

« Quand vous serez arrivé à la dernière page des notes ci-jointes, vous vous demanderez ce que sont devenu et Marmouset et Vanda, et mon fidèle Milon, et le traître Tippo-Runo, ainsi que le trésor de l’infortuné Rajah Osmany.

« Malheureusement ; il m’est impossible de vous le dire, ne le sachant pas moi-même.

« Je suis en prison depuis huit jours.

« J’ai employé ce temps à rédiger les notes que je vous adresse et qu’un prisonnier libéré, qui va sortir d’ici dans une heure, se charge de vous faire parvenir.

« Vous allez certainement vous demander comment il se fait qu’un homme qui, comme moi, sortait si facilement du bagne de Brest et dont vous avez raconté la surprenante évasion du bagne de Toulon, s’amuse à demeurer prisonnier des Anglais.

« Je vais vous répondre :

« J’ai commis un crime, selon la loi maritime anglaise ; mais j’ai rendu précédemment, comme vous pourrez le voir par mes notes un grand service à l’Angleterre en la débarrassant du chef des Étrangleurs, Ali-Remjeh, son plus mortel ennemi.

« Je puis me fier à Marmouset et à Vanda du soin de mettre en sûreté le trésor du rajah ; et je veux que le traître Tippo-Runo vienne s’asseoir à côté de moi sur le banc de la cour martiale.

« J’ai été interrogé par les magistrats.

« Ils connaissent mon passé ; ils savent qui j’ai été, mais ils savent aussi que le vice-roi des Indes m’a donné des lettres de réhabilitation.

« Je ne suis donc détenu que pour ce fait, d’avoir essayé de jeter sur la côte un bâtiment qui naviguait sous pavillon britannique.

« Mais si je puis prouver la trahison et l’infamie de Tippo-Runo, je serai acquitté.

« Or, pour cela, on a écrit, sur ma demande, à Calcutta.

« Le vice-roi fera faire une enquête.

« L’indien Nadir se chargera certainement de fournir toutes les preuves à la charge du major sir Edwards Linton, surnommé Tippo-Runo.

« Dans ce cas-là, je serai acquitté.

« Je préfère donc de beaucoup être jugé que m’évader.

« Mais rassurez-vous, monsieur, votre roman n’y perdra rien ; et bien certainement, avant que vous ayez épuisé les notes que je vous transmets, j’aurai de nouvelles aventures à vous raconter.

« Votre héros dévoué et obéissant.

« Rocambole. »

Quand ce manuscrit et cette lettre me parvinrent, je terminais dans la Presse illustrée un roman intitulé les Cosaques.

La Presse illustrée était à la veille de subir une transformation et de devenir la Petite presse.

Le premier numéro de cette dernière parut avec le premier chapitre de ces nouveaux mémoires de Rocambole.

Il y a de cela près d’un an.

Voici un mois que je suis arrivé à la fin des notes de mon héros, et j’allais me trouver dans la nécessité d’interrompre, sans pouvoir vous expliquer pourquoi, lorsqu’une lettre de M. Gruau, de Tours, m’a amené à vous dire enfin ce qu’il y avait de vrai sur ce personnage étrange appelé Rocambole.

Mais tout finit ; et, arrivé au bout de ce récit, j’allais me retrouver dans le même embarras lorsque j’ai reçu hier soir la lettre suivante :

« Cher maître,

« Je suis libre : j’en ai fini avec Tïppo-Runo. Comment ? c’est ce que je vous dirai bientôt.

« Pour aujourd’hui, esclave de la mission que je me suis donnée, je me trouve mêlé à toute cette affaire qui se dénoue en ce moment devant les tribunaux de Londres.

« Au mois de novembre, je vous enverrai de nouvelles notes.

« Votre héros,

« Rocambole. »

Vous le voyez, mes chers lecteurs, je suis donc forcé de m’arrêter et, d’attendre de nouveaux documents.

Mais je ne puis ni vous quitter ni quitter la Petite Presse.

Et en attendant la suite des Aventures de Rocambole, il a été convenu hier avec la direction de cette petite feuille, qui a quatre ou cinq cent mille lecteurs, que je vous donnerais la suite d’un autre roman demeuré inachevé jusqu’à ce jour, et que certainement vous avez lu, ou dont tout au moins, vous avez entendu parler, ne fût-ce que par la pièce jouée au théâtre impérial du Châtelet cent soixante-sept fois :

La Jeunesse du roi Henri.

FIN

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