XXIII

La voiture, l’attelage, tout cela était au moins bizarre.

Rocambole souriait de mon étonnement.

– Un jour, me dit-il, vous aurez l’explication de tout cela.

Puis, se tournant vers Milon :

– Va voir si elle est prête ?

– Oui, maître, répondit Milon.

Nous demeurâmes seuls auprès des chevaux, et nous vîmes Milon se diriger vers la maison en construction.

Je le suivis des yeux jusqu’au milieu du jardin ; mais là, il disparut comme si la terre se fût entrouverte sous ses pas.

J’eus beau le chercher, je ne le vis plus.

Rocambole souriait toujours.

Ce diable d’homme était perpétuellement environné de mystères.

– Ne cherchez pas, me dit-il. Plus tard encore, tout vous sera expliqué ; et puisque nous avons dix minutes devant nous, profitons-en.

– Ah ! nous avons dix minutes ?

– Pas davantage.

– Mais vous rentrez dans Paris, ce soir ?

– Non, je vais, par les boulevards extérieurs, à la gare du Nord.

– Comment ! lui dis-je, vous repartez ?

– Oui, je vais à Londres. C’est de là que je vous écrirai.

– Quand ?

– Au premier jour.

– Mais depuis quand êtes-vous revenu de l’Inde ?

– Depuis quarante-huit heures.

Je le questionnai vainement ; il ne voulut rien me répondre si ce n’est ceci :

– J’ai lutté avec les étrangleurs.

– Les Thuggs ?

– Oui, les Thuggs de l’Inde.

– Et vous avez été victorieux, j’imagine ?

– Sans cela, serais-je ici ?

– C’est juste. Je vous demande pardon.

J’avais toujours les yeux fixés sur la maison en construction.

– Vous vous demandez ce que Milon est allé faire là ? me dit-il.

– En effet.

– Il est allé chercher ma compagne de voyage.

– Vanda ?

– Non, Vanda est déjà partie.

Une lumière brilla tout à coup à travers les fenêtres sans volets de cette maison qui m’intriguait tant.

Puis je vis apparaître Milon qui portait une lanterne à la main.

Une femme enveloppée dans un grand burnous de cachemire blanc marchait auprès de lui.

– Voilà ma voyageuse, me dit Rocambole.

En effet, la femme s’approcha de la voiture et un moment les rayons des lanternes tombèrent sur son visage.

J’éprouvai un véritable éblouissement.

Jamais je n’avais vu de femme aussi belle.

Elle me regardait avec un certain étonnement ; il lui dit en l’aidant à monter en voiture :

– Ne craignez rien… ce n’est pas monsieur qui nous trahira.

Puis, se penchant à mon oreille :

– Dans la note que je vous enverrai de Londres, il sera souvent question d’une femme : la Belle Jardinière.

– Ah !

– C’est elle.

Et sur ces mots il me salua, monta sur le siège et prit les rênes.

Milon demeurait sur la route.

– Et moi, Maître, dit-il.

– Toi, répondit Rocambole, tu as mes instructions. Suis-les de point en point. Adieu.

– Au revoir. Maître, dit Milon.

Rocambole fit un appel de langue et rendit la main, les trotteurs s’élancèrent, et l’omnibus se trouva lancé sur la route.

Je me retrouvai, alors, seul avec Milon.

Je mourais d’envie de le questionner ; tandis que je cherchais une formule, il me dit :

– Excusez-moi, monsieur, de vous laisser seul ainsi au milieu de la route. Mais j’ai des ordres…

Et il me salua et s’en alla.

De nouveau, il entra dans le jardin de la maison en construction.

De nouveau, il disparut à mes yeux avant d’avoir atteint l’édifice.

L’omnibus était loin et je n’apercevais même plus ses lanternes.

D’un autre côté je n’avais pas la moindre nouvelle de ma propre voiture.

La curiosité l’emporta chez moi sur le désir que j’avais de ne pas contrecarrer les plans de Rocambole.

Je m’élançai vers le jardin, bien décidé à savoir comment Milon avait pu se dérober tout à coup à mes regards.

Mais grande fut ma déception.

Il n’y avait, dans le jardin, d’autre ouverture qu’un puits.

Je pris une pierre et je la jetai dedans.

J’entendis l’eau clapoter.

Il était assez difficile d’admettre que Rocambole eût ordonné à Milon de se noyer.

Ce n’était pas dans le puits qu’il était descendu.

J’avais un mystère de plus à ajouter à tous ceux que j’avais déjà racontés.

Je fis le tour de la maison en construction.

Portes et fenêtres étaient ouvertes.

Je la parcourus, et nulle part je ne trouvai trace d’habitants.

Enfin, comme je m’en revenais découragé sur la route je vis une lueur dans le lointain.

D’abord on eût dit une étoile tombée du ciel et cherchant à y remonter.

Puis l’étoile se dédoubla.

Puis enfin je reconnus distinctement les deux lanternes d’une voiture.

En même temps j’entendis le trot rapide et sonore de mon double poney.

C’était bien mon ami qui revenait.

– Halte ! criai-je, comme la voiture arrivait sur moi ; mais que vous est-il donc arrivé ?

– C’est ce diable de bois de Vincennes qui est la cause du retard, répondit mon ami.

– Comment cela ?

– Il y a vingt routes qui se croisent.

– Eh bien ?

– Eh bien ! au tournant de la Porte Jaune, nous avons pris la route de Joinville-le-Pont, croyant prendre celle de Paris, et ce n’est qu’à Joinville que nous nous sommes aperçus de notre erreur.

– Il n’y a pas grand mal à cela, répondis-je en reprenant ma place, mon fouet et mes rênes.

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