NOTE 20.

Détails des événemens du 10 août.

(Ils sont tirés d’un écrit signé Carra, et intitulé : Précis historique et très exact sur l’origine et les véritables auteurs de la célèbre insurrection du 10 août, qui a sauvé la république. L’auteur assure que le maire n’eut pas la moindre part au succès, mais qu’il s’est trouvé en place, dans cette occasion, comme une véritable providence pour les patriotes. Ce morceau est tiré des Annales politiques du 30 novembre dernier.)

« Les hommes, dit Jérôme Pétion, dans son excellent discours sur l’accusation intentée contre Maximilien Robespierre, qui se sont attribué la gloire de cette journée, sont les hommes à qui elle appartient le moins. Elle est due à ceux qui l’ont préparée ; elle est due à la nature impérieuse des choses ; elle est due aux braves fédérés, et à leur directoire secret qui concertait depuis long-temps le plan de l’insurrection ; elle est due enfin au génie tutélaire qui préside constamment aux destins de la France, depuis la première assemblée de ses représentans. »

« C’est de ce directoire secret, dont parle Jérôme Pétion, que je vais parler à mon tour, et comme membre de ce directoire, et comme acteur dans toutes ses opérations. Ce directoire secret fut formé par le comité central des fédérés établi dans la salle de correspondance aux Jacobins Saint-Honoré. Ce fut des quarante-trois membres qui s’assemblaient journellement depuis le commencement de juillet dans cette salle, qu’on en tira cinq pour le directoire d’insurrection. Ces cinq membres étaient Vaugeois, grand-vicaire de l’évêque de Blois ; Debesse, du département de la Drôme ; Guillaume, professeur à Caen ; Simon, journaliste de Strasbourg ; et Galissot, de Langres. Je fus adjoint à ces cinq membres, à l’instant même de la formation du directoire, et quelques jours après on y invita Fournier l’Américain ; Westermann ; Kienlin, de Strasbourg ; Santerre ; Alexandre, commandant du faubourg Saint-Marceau ; Lazouski, capitaine des canonniers de Saint-Marceau ; Antoine, de Metz, l’ex-constituant ; Lagrey ; et Carin, électeur de 1789.

« La première séance de ce directoire se tint dans un petit cabaret, au Soleil d’Or, rue Saint-Antoine, près la Bastille, dans la nuit du jeudi au vendredi 26 juillet, après la fête civique donnée aux fédérés sur l’emplacement de la Bastille. Le patriote Gorsas parut dans le cabaret d’où nous sortîmes à deux heures du matin, pour nous porter près de la colonne de la liberté, sur l’emplacement de la Bastille, et y mourir s’il fallait pour la patrie. Ce fut dans ce cabaret du Soleil-d’Or que Fournier l’Américain nous apporta le drapeau rouge, dont j’avais proposé l’invention, et sur lequel j’avais fait écrire ces mots : Loi martiale du peuple souverain contre la rébellion du pouvoir exécutif. Ce fut aussi dans ce même cabaret que j’apportai cinq cents exemplaires d’une affiche où étaient ces mots : Ceux qui tireront sur les colonnes du peuple seront mis à mort sur-le-champ. Cette affiche, imprimée chez le libraire Buisson, avait été apportée chez Santerre, où j’allai la chercher à minuit. Notre projet manqua cette fois par la prudence du maire, qui sentit vraisemblablement que nous n’étions pas assez en mesure dans ce moment ; et la seconde séance active du directoire fut renvoyée au 4 août suivant.

« Les mêmes personnes à peu près se trouvèrent dans cette séance, et en outre Camille Desmoulins : elle se tint au Cadran-Bleu, sur le boulevart ; et sur les huit heures du soir, elle se transporta dans la chambre d’Antoine, l’ex-constituant, rue Saint-Honoré, vis-à-vis l’Assomption, juste dans la maison où demeure Robespierre. L’hôtesse de Robespierre fut tellement effrayée de ce conciliabule, qu’elle vint, sur les onze heures du soir, demander à Antoine s’il voulait faire égorger Robespierre : Si quelqu’un doit être égorgé, dit Antoine, ce sera nous sans doute ; il ne s’agit pas de Robespierre, il n’a qu’à se cacher.

« Ce fut dans cette seconde séance active que j’écrivis de ma main tout le plan de l’insurrection, la marche des colonnes et l’attaque du château. Simon fit une copie de ce plan, et nous l’envoyâmes à Santerre et à Alexandre, vers minuit ; mais une seconde fois notre projet manqua, parce qu’Alexandre et Santerre n’étaient pas encore assez en mesure, et plusieurs voulaient attendre la discussion renvoyée au 10 août, sur la suspension du roi.

« Enfin la troisième séance active de ce directoire se tint dans la nuit du 9 au 10 août dernier au moment où le tocsin sonna, et dans trois endroits différents en même temps ; savoir : Fournier l’Américain avec quelques autres au faubourg Saint-Marceau ; Westermann, Santerre et deux autres, au faubourg Saint-Antoine ; Carin, journaliste de Strasbourg, et moi, dans la caserne des Marseillais, et dans la chambre même du commandant, où nous avons été vus par tout le bataillon…

« Dans ce précis, qui est de la plus exacte vérité, et que je défie qui que ce soit de révoquer en doute dans ses moindres détails, on voit qu’il ne s’agit ni de Marat, ni de Robespierre, ni de tant d’autres qui veulent passer pour acteurs dans cette affaire ; et que ceux-là qui peuvent s’attribuer directement la gloire de la fameuse journée du 10 août, sont ceux que je viens de nommer, et qui ont formé le directoire secret des fédérés. »

Share on Twitter Share on Facebook