Il ne sera pas sans intérêt de connaître l’opinion de Ferrières sur la manière dont les députés de son propre parti se conduisaient dans l’assemblée.
« Il n’y avait à l’assemblée nationale, dit Ferrières, qu’à peu près trois cents membres véritablement hommes probes, exempts d’esprit de parti, étrangers à l’un et à l’autre club, voulant le bien, le voulant pour lui-même, indépendamment d’intérêts d’ordres, de corps ; toujours prêts à embrasser la proposition la plus juste et la plus utile, n’importe de qui elle vînt et par qui elle fût appuyée. Ce sont des hommes dignes de l’honorable fonction à laquelle ils avaient été appelés, qui ont fait le peu de bonnes lois sorties de l’assemblée constituante ; ce sont eux qui ont empêché tout le mal qu’elle n’a pas fait. Adoptant toujours ce qui était bon, et éloignant toujours ce qui était mauvais, ils ont souvent donné la majorité à des délibérations qui, sans eux, eussent été rejetées par un esprit de faction ; ils ont souvent repoussé des motions qui, sans eux ; eussent été adoptées par un esprit d’intérêt.
« Je ne saurais m’empêcher à ce sujet de remarquer la conduite impolitique des nobles et des évêques. Comme ils ne tendaient qu’à dissoudre l’assemblée, qu’à jeter de la défaveur sur ses opérations, loin de s’opposer aux mauvais décrets, ils étaient d’une indifférence à cet égard que l’on ne saurait concevoir. Ils sortaient de la salle lorsque le président posait la question, invitant les députés de leur parti à les suivre ; ou bien, s’ils demeuraient, ils leur criaient de ne point délibérer. Les clubistes, par abandon, devenus la majorité de l’assemblée, décrétaient tout ce qu’ils voulaient. Les évêques et les nobles croyant fermement que le nouvel ordre de choses ne subsisterait pas, hâtaient, avec une sorte d’impatience, dans l’espoir d’en avancer la chute, et la ruine de la monarchie, et leur propre ruine. À cette conduite insensée ils joignaient une insouciance insultante, et pour l’assemblée, et pour le peuple qui assistait aux séances. Ils n’écoutaient point, riaient, parlaient haut, confirmant ainsi le peuple dans l’opinion peu favorable qu’il avait conçue d’eux ; et au lieu de travailler à regagner sa confiance et son estime, ils ne travaillaient qu’à acquérir sa haine et son mépris. Toutes ces sottises venaient de ce que les évêques et les nobles ne pouvaient se persuader que l’a révolution était faite depuis long-temps dans l’opinion et dans le cœur de tous les Français. Ils s’imaginaient, à l’aide de ces digues, contenir un torrent qui grossissait chaque jour. Ils ne faisaient qu’amonceler ses eaux, qu’occasionner plus de ravage, s’entêtant avec opiniâtreté à l’ancien régime, base de toutes leurs actions, de toutes leurs oppositions, mais dont personne ne voulait. Ils forçaient, par cette obstination maladroite, les révolutionnaires à étendre leur système de révolution au-delà même du but qu’ils s’étaient proposé. Les nobles et les évêques criaient alors à l’injustice, à la tyrannie. Ils parlaient de l’ancienneté et de la légitimité de leurs droits à des hommes qui avaient sapé la base de tous les droits. »
(Ferrières. Tom. II, page. 122).