NOTE 6.

Je suis loin de blâmer l’obstination du député Mounier, car rien n’est plus respectable que la conviction ; mais c’est un fait assez curieux à constater ; Voici à cet égard un passage extrait de son Rapport à ses commettans :

« Plusieurs députés, dit-il, résolurent d’obtenir de moi le sacrifice de ce principe (la sanction royale), ou, en le sacrifiant eux-mêmes, de m’engager, par reconnaissance, à leur accorder quelque compensation ; ils me conduisirent chez un zélé partisan de la liberté, qui désirait une coalition entre eux ; et moi, afin que la liberté éprouvât moins d’obstacles, et qui voulait seulement être présent à nos conférences, sans prendre part à la décision. Pour tenter de les convaincre, ou pour m’éclairer moi-même, j’acceptai ces conférences. On déclama fortement contre les prétendus inconvéniens du droit illimité qu’aurait le roi d’empêcher une loi nouvelle, et l’on m’assura que si ce droit était reconnu par l’assemblée, il y aurait guerre civile. Ces conférences, deux fois renouvelées, n’eurent aucun succès ; elles furent recommencées chez un Américain, connu par ses lumières et ses vertus, qui avait tout à la fois l’expérience et la théorie des institutions propres à maintenir la liberté. Il porta, en faveur de mes principes, un jugement favorable. Lorsqu’ils eurent éprouvé que tous les efforts pour me faire abandonner mon opinion étaient inutiles, ils me déclarèrent enfin qu’ils mettaient peu d’importance à la question de la sanction royale, quoiqu’ils l’eussent présentée quelques jours auparavant comme un sujet de guerre civile ; ils offrirent de voter pour la sanction illimitée, et de voter également pour deux chambres, mais sous la condition que je ne soutiendrais pas, en faveur du roi, le droit de dissoudre l’assemblée des représentans ; que je ne réclamerais, pour la première chambre, qu’un veto suspensif, et que je ne m’opposerais pas à une loi fondamentale qui établirait des conventions nationales à des époques fixes, ou sur la réquisition de l’assemblée des représentans, ou sur celle des provinces, pour revoir la constitution et y faire tous les changemens qui seraient jugés nécessaires. Ils entendaient, par conventions nationales, des assemblées dans lesquelles on aurait transporté tous les droits de la nation, qui auraient réuni tous les pouvoirs, et conséquemment auraient anéanti par leur seule présence l’autorité du monarque et de la législature ordinaire ; qui auraient pu disposer arbitrairement de tous les genres d’autorité, bouleverser à leur gré la constitution, rétablir le despotisme ou l’anarchie. Enfin, on voulait en quelque sorte laisser à une seule assemblée, qui aurait porté le nom de convention nationale, la dictature suprême, et exposer le royaume à un retour périodique de factions et de tumulte.

« Je témoignai ma surprise de ce qu’on voulait m’engager à traiter sur les intérêts du royaume comme si nous en étions les maîtres absolus ; j’observai qu’en ne laissant que le veto suspensif à une première chambre, si elle était composée de membres éligibles, il serait difficile de pouvoir la former de personnes dignes de la confiance publique ; alors tous les citoyens préféreraient d’être nommés représentans ; et que la chambre, juge des crimes d’état, devait avoir une très grande dignité, et conséquemment que son autorité ne devait pas être moindre que celle de l’autre chambre. Enfin, j’ajoutai que, lorsque je croyais un principe vrai, j’étais obligé de le défendre, et que je ne pouvais pas en disposer, puisque la vérité appartenait à tous les citoyens. »

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