Les particularités de la conduite de Mirabeau à l’égard de tous les partis ne sont pas encore bien connues, et sont destinées à l’être bientôt. J’ai obtenu de ceux mêmes qui doivent les publier des renseignemens positifs ; j’ai tenu dans les mains plusieurs pièces importantes, et notamment la pièce écrite en forme de profession de foi, qui constituait son traité secret avec la cour. Il ne m’est permis de donner au public aucun de ces documens, ni d’en citer les dépositaires. Je ne puis qu’affirmer ce que l’avenir démontrera suffisamment, lorsque tous les renseignemens auront été publiés. Ce que j’ai pu dire avec sincérité, c’est que Mirabeau n’avait jamais été dans les complots supposés du duc d’Orléans. Mirabeau partit de Provence avec un seul projet, celui de combattre le pouvoir arbitraire dont il avait souffert, et que sa raison autant que ses sentimens lui faisaient regarder comme détestable. Arrivé à Paris, il fréquenta beaucoup un banquier alors très connu, et homme d’un grand mérite. Là, on s’entretenait beaucoup de politique, de finances et d’économie publique. Il y puisa beaucoup de connaissances sur ces matières, et il s’y lia avec ce qu’on appelait la colonie génevoise exilée, dont Clavière, depuis ministre des finances, était membre. Cependant Mirabeau ne forma aucune liaison intime. Il avait dans ses manières beaucoup de familiarité, et il la devait au sentiment de sa force, sentiment qu’il portait souvent jusqu’à l’imprudence. Grâce à cette familiarité, il abordait tout le monde, et semblait lié avec tous ceux auxquels il s’adressait. C’est ainsi qu’on le crut souvent l’ami et le complice de beaucoup d’hommes avec lesquels il n’avait aucun intérêt commun. J’ai dit, et je répète qu’il était sans parti. L’aristocratie ne pouvait songer à Mirabeau ; le parti Necker et Mounier ne surent pas l’entendre. Le duc d’Orléans a pu seul paraître s’unir à lui. On l’a cru ainsi, parce que Mirabeau traitait familièrement avec le duc, et que tous deux étant supposés avoir une grande ambition, l’un comme prince, l’autre comme tribun, paraissaient devoir s’allier. La détresse de Mirabeau et la fortune du duc d’Orléans semblaient aussi un motif d’alliance. Néanmoins Mirabeau resta pauvre jusqu’à ses liaisons avec la cour. Alors il observait tous les partis, tâchait de les faire expliquer, et sentait trop son importance pour s’engager trop légèrement. Une seule fois, il eut un commencement de rapport avec un des agens supposés du duc d’Orléans. Il fut invité à dîner par cet agent prétendu, et lui, qui ne craignait jamais de s’aventurer, accepta plutôt par curiosité que par tout autre motif. Avant de s’y rendre, il en fit part à son confident intime, et parut fort satisfait de cette entrevue, qui lui faisait espérer de grandes révélations. Le repas eut lieu, et Mirabeau vint rapporter ce qui s’était passé : il n’avait été tenu que des propos vagues sur le duc d’Orléans, sur l’estime qu’il avait pour les talens de Mirabeau, et sur l’aptitude qu’il lui supposait pour gouverner un état. Cette entrevue fut donc très insignifiante, et elle put indiquer tout au plus qu’on ferait volontiers un ministre de Mirabeau. Aussi ne manqua-t-il pas de dire à son ami, avec sa gaieté accoutumée : « Je ne puis pas manquer d’être ministre, car le duc d’Orléans et le roi veulent également me nommer. » Ce n’étaient là que des plaisanteries, et Mirabeau lui-même n’a jamais cru aux projets du duc. J’expliquerai dans une note suivante quelques autres particularités.