Pourquoi l’auteur commence l’examen des institutions politiques par la commune. — La commune se retrouve chez tous les peuples. — Difficulté d’établir et de conserver la liberté communale. — Son importance. — Pourquoi l’auteur a choisi l’organisation communale de la Nouvelle-Angleterre pour objet principal de son examen.
Ce n’est pas par hasard que j’examine d’abord la commune.
La commune est la seule association qui soit si bien dans la nature, que partout où il y a des hommes réunis, il se forme de soi-même une commune.
La société communale existe donc chez tous les peuples quels que soient leurs usages et leurs lois ; c’est l’homme qui fait les royaumes et crée les républiques ; la commune paraît sortir directement des mains de Dieu. Mais si la commune existe depuis qu’il y a des hommes, la liberté communale est chose rare et fragile. Un peuple peut toujours établir de grandes assemblées politiques, parce qu’il se trouve habituellement dans son sein un certain nombre d’hommes chez lesquels les lumières remplacent jusqu’à un certain point l’usage des affaires. La commune est composée d’éléments grossiers qui se refusent souvent à l’action du législateur. La difficulté de fonder l’indépendance des communes, au lieu de diminuer à mesure que les nations s’éclairent, augmente avec leurs lumières. Une société très civilisée ne tolère qu’avec peine les essais de la liberté communale ; elle se révolte à la vue de ses nombreux écarts, et désespère du succès avant d’avoir atteint le résultat final de l’expérience.
Parmi toutes les libertés, celle des communes, qui s’établit si difficilement, est aussi la plus exposée aux invasions du pouvoir. Livrées à elles-mêmes, les institutions communales ne sauraient guère lutter contre un gouvernement entreprenant et fort ; pour se défendre avec succès, il faut qu’elles aient pris tous leurs développements et qu’elles se soient mêlées aux idées et aux habitudes nationales. Ainsi, tant que la liberté communale n’est pas entrée dans les mœurs, il est facile de la détruire, et elle ne peut entrer dans les mœurs qu’après avoir longtemps subsisté dans les lois.
La liberté communale échappe donc, pour ainsi dire, à l’effort de l’homme. Aussi arrive-t-il rarement qu’elle soit créée ; elle naît en quelque sorte d’elle-même. Elle se développe presque en secret au sein d’une société demi-barbare. C’est l’action continue des lois et des mœurs, les circonstances et surtout le temps, qui parviennent à la consolider. De toutes les nations du continent de l’Europe, on peut dire qu’il n’y en a pas une seule qui la connaisse.
C’est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. Des passions passagères, des intérêts d’un moment, le hasard des circonstances, peuvent lui donner les formes extérieures de l’indépendance ; mais le despotisme refoulé dans l’intérieur du corps social reparaît tôt ou tard à la surface.
Pour faire bien comprendre au lecteur les principes généraux sur lesquels repose l’organisation politique de la commune et du comté aux États-Unis, j’ai cru qu’il était utile de prendre pour modèle un État en particulier ; d’examiner avec détail ce qui s’y passe, et de jeter ensuite un regard rapide sur le reste du pays.
J’ai choisi l’un des États de la Nouvelle-Angleterre.
La commune et le comté ne sont pas organisés de la même manière dans toutes les parties de l’Union ; il est facile de reconnaître, cependant, que dans toute l’Union les mêmes principes, à peu près, ont présidé à la formation de l’un et de l’autre.
Or, il m’a paru que ces principes avaient reçu dans la Nouvelle-Angleterre des développements plus considérables, et atteint des conséquences plus éloignées que partout ailleurs. Ils s’y montrent donc pour ainsi dire plus en relief, et se livrent ainsi plus aisément à l’observation de l’étranger.
Les institutions communales de la Nouvelle-Angleterre forment un ensemble complet et régulier ; elles sont anciennes ; elles sont fortes par les lois, plus fortes encore par les mœurs ; elles exercent une influence prodigieuse sur la société entière.
À tous ces titres elles méritent d’attirer nos regards.