XVI

Ainsi va le monde… Mais Schiller a dit : « Seul l'éphémère est beau », et la nature elle-même, dans ses métamorphoses successives, n'est pas étrangère à la beauté. N'est-ce pas elle qui décore avec tant de minutie les plus fugaces de ses créatures ? Ne donne-t-elle pas aux pétales des fleurs et à l'aile du papillon leurs couleurs éclatantes, leurs contours graciles ? La beauté n'a pas besoin d'exister immuablement pour être éternelle — un instant lui suffit.

Fort bien. Il se peut que tout cela soit exact, mais dès que l'homme est exclu, dès qu'il n'y a plus de personnalité il n'y a point de liberté : l'aile flétrie du papillon renaît au bout de mille ans, mais c'est toujours la même aile, et détachée du même papillon. C'est une répétition implacable et régulière, impersonnelle et absolue… L'homme ne se reproduit pas comme le papillon, et l'œuvre de ses mains, son art, sa libre création, disparaît une fois pour toutes quand on la détruit…

« Créer est le propre de l'homme… » Mais n'est-il pas étrange et effrayant de dire « nous créons »… pour une heure ; comme ce calife qui, dit-on, régna soixante minutes ?

C'est cela notre privilège et notre malédiction : chacun de ces créateurs, pris à part, est précisément lui-même et pas un autre : il est ce « je » que l'on dirait conçu avec préméditation, selon un plan prévu d'avance ; chacun se doute plus ou moins de son importance, se sent apparenté à quelque chose de grand et d'éternel, mais n'existe qu'un instant et pour un instant. Enlisé que tu es dans la vase, essaie de te dépêtrer et d'atteindre le ciel.

Les plus grands sont précisément ceux qui sont conscients de cette essentielle contradiction ; mais, s'il en est ainsi, permettez-moi de vous demander si les termes de « plus grand » et de « grand » sont bien appropriés…

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