XXVII

À ce moment trois chariots s’arrêtèrent au portail ; ils amenaient Kwicinski et sa suite. Les chevaux fatigués soufflaient, tandis que les hommes s’empressaient de sauter l’un après l’autre dans la boue.

– Oh, oh ! rugit Kharlov. Une armée, toute une armée contre moi ! Soit ! Seulement quiconque viendra me rendre visite sur mon toit, je le renverrai la tête en bas, tenez-vous le pour dit. Charbonnier est maître chez soi et gare aux visiteurs importuns !

Il s’accrocha des deux mains à la paire de chevrons qui forme sur le devant du toit ce qu’on nomme les « jambes » du fronton et se mit à les secouer de toute sa force. Penché sur le bord du plancher, il les tirait à lui, par saccades régulières, qu’il accompagnait d’un « oh hisse, oh ! » à la mode des haleurs de bateau. Sliotkine courut à Kwicinski pour reprendre et ses doléances et ses pleurnicheries… Mais l’autre le pria de le « laisser tranquille » et procéda aussitôt à l’exécution du plan qu’il avait imaginé. Il vint en personne se planter devant la maison et, pour opérer une diversion, il se lança dans une mercuriale en règle, représentant à Kharlov que ce qu’il faisait là n’était pas digne d’un gentilhomme.

– Oh, hisse, oh ! chantonnait Kharlov.

… Que Natalie Nicolaïevna était très mécontente, qu’elle avait attendu de lui une tout autre conduite.

– Oh, hisse, oh ! chantonnait toujours Kharlov.

Cependant Kwicinski avait détaché quatre palefreniers, des plus forts et des plus hardis, sur les derrières du logis neuf, avec ordre de grimper par là sur le toit. Mais le stratagème n’échappa point à la vigilance de Kharlov : abandonnant ses chevrons il courut à l’autre bout de la mezzanine. Son aspect était si terrible que deux des palefreniers qui s’étaient déjà hissés jusqu’en haut redescendirent précipitamment par la gouttière à la grande joie et aux éclats de rire des gamins. Kharlov agita le poing derrière les fuyards et revenant à ses chevrons, il se remit à les ébranler en réglant ses mouvements sur la cadence de son refrain de haleur.

Mais tout à coup il s’arrêta.

– Maxime, mon petit Maxime, s’exclama-t-il. Est-ce bien toi que je vois, ami de mon cœur ?

Je me retournai : le petit cosaque Maxime se détachait en effet du groupe des paysans et s’avançait en découvrant ses trente-deux dents dans un large sourire épanoui. Son patron, le bourrelier, lui avait sans doute octroyé quelques jours de vacances.

– Viens ici, mon loyal serviteur, défendons-nous ensemble contre ces félons de Tatars, ces bandits de Lithuanie.

Tout en continuant à rire d’une oreille à l’autre, Maxime tentait déjà l’escalade, mais on le saisit et on l’entraîna en arrière, pour donner sans doute un exemple aux autres, car il ne pouvait pas être d’un grand secours à Kharlov.

– Ah, c’est comme ça ! Eh bien, on va voir, s’écria celui-ci d’une voix furibonde en revenant à ses chevrons.

– Vincent Ossipovitch, dit Sliotkine à Kwicinski, laissez-moi tirer, pour l’effrayer seulement, car mon fusil n’est chargé qu’à plomb de bécassines…

Kwicinski n’eut pas le temps de lui répondre : les jambes du fronton, furieusement secouées par les poignes de fer de Kharlov, craquèrent, penchèrent sur la cour et s’écroulèrent avec fracas. Entraîné par elles, Kharlov aussi fut précipité et vint frapper le sol de tout son poids. Tout le monde frémit, jeta un cri… Kharlov restait étendu sur la poitrine : le faîtage avait suivi le fronton dans sa chute et porté en plein sur les épaules du malheureux.

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