VIII

À LA nuit tombante, ma mère fut prise d'un léger accès de fièvre et me renvoya, mais, au lieu de me retirer dans ma chambre, je résolus de coucher sur un divan, dans la pièce voisine. Tous les quarts d'heure, je me levais, m'approchais de sa porte à pas de loup et écoutais… Un silence de mort. Néanmoins, je doute fort que maman eut fermé l'œil cette nuit-là.

Le matin, de bonne heure, je me présentai chez elle ; son visage était enflammé et ses yeux brillaient d'un éclat singulier.

L'après-midi, elle parut aller mieux, mais au soir, la fièvre remonta de plus belle.

Jusque-là elle avait gardé un mutisme obstiné ; tout à coup, elle se mit à parler d'un ton saccadé et haletant. Ce n'était pas du délire, car ses propos avaient un sens, bien qu'ils manquassent de liens logiques. Un peu avant minuit, elle se souleva brusquement sur son oreiller (je me tenais assis à son chevet) et se lança dans une longue confession. Pas une seule fois elle ne me regarda ; de temps à autre, elle buvait une gorgée d'eau, reposait le verre d'un geste énervé, agitait faiblement les mains… Parfois aussi, elle s'arrêtait, faisait un effort sur elle-même et reprenait le fil de son récit… Et j'avais l'impression qu'elle parlait dans une sorte de rêve, comme si elle ne s'était pas rendue compte de ce qu'elle faisait, comme si quelqu'un d'autre s'était substitué à elle ou l'avait forcée â sortir de son mutisme.

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