XXVII Carton plein

«  Comme nous vous en informions au début de ce journal, l’affaire des holothuries de Saint-Glinglin a connu hier un spectaculaire rebondissement. Alors qu’il semblait clairement établi que l’invasion de concombres de mer affectant les plages de la région était directement liée aux flatulences des lamantins résidant à l’entrée de la baie, un citoyen de Ploucamor, François Troudic, dont le nom avait déjà défrayé la chronique l’an dernier lorsqu’il avait démantelé un gang de trafiquants de boîtes de conserves, est parvenu à prouver de façon irréfutable que cette prolifération d’holothuries n’était en rien liée aux pets de vaches de mer mais avait été sciemment provoquée par l’un des membres les plus éminents de l’Institut Océanographique, le professeur Michel-André Nieux. La cache où le professeur Nieux stockait les produits aphrodisiaques dont il gavait chaque jour les holothuries de la baie de Saint-Glinglin a été mise à jour, et un journal dans lequel il expliquait en détail son plan et ses motivations a été retrouvé au fond de son cartable. Assisté de son équipe, François Troudic est parvenu à alerter les autorités mardi matin, à la première heure, juste avant le départ des chalutiers devant éliminer la colonie de lamantins. L’opération a été suspendue in extremiset aux dernières nouvelles, les vaches de mer continuent à paître paisiblement à l’entrée de la baie. Se voyant démasqué, le professeur Nieux a préféré mettre fin à ses jours plutôt que de devoir affronter ses responsabilités. Il s’est rendu dans un champ à la sortie de la ville et s’est suicidé avec un fusil-harpon. Dans sa bouche, on a retrouvé un navet sur lequel il avait gravé : J’ai trop honte. Alors qu’il tentait de l’empêcher de commettre l’irréparable, François Troudic a été blessé à la cuisse par la flèche avec laquelle le professeur s’est suicidé. Il se repose actuellement à la clinique du Guilledou. »

La porte de ma chambre s’ouvre juste au moment où j’éteins la télé, et Géraldine, Piou-piou et Michou apparaissent, les bras chargés de cadeaux.

— Alors mon Roudoudou, comment te sens-tu aujourd’hui ?

— En pleine forme !… J’ai vraiment hâte de sortir d’ici. Qu’est-ce que vous m’avez amené de beau ?

— Tiens, voilà un livre de coloriage offert par Peter Mac Roe, et des gommettes de la part de Mlle Flétan… Cette terrine de lapin, c’est un cadeau de Michel-André Vaugratin. Et puis il y aussi une petite pipe envoyée par Monsieur Gerbillon et une barquette de carottes râpées, de la part de son épouse.

— Ouah… super…

— Et ce n’est pas tout ! Piou-piou t’a fabriqué un boulier chinois avec des picorettes et Michou t’a tressé un scoubidou avec des poils de korrigan.

— Alors là, les enfants, vraiment, vous me gâtez !… Et heu… là… dans ce carton… qu’est-ce que… ?

— Ça, gros curieux, c’est mon cadeau… un petit souvenir que je t’ai ramené de l’institut Océanographique…

— Ah bon ? laisse-moi regarder… qu’est-ce que ça peut bien… catuaba, écorce de bandamor, sirop de bitdane, bungabunga, jus de bambougnak, couydebouk, yohimbé… Géraldine ! Tu as piqué tous les aphrodisiaques du professeur Nieux !

— Mais non, pas tous… j’en ai juste pris quelques-uns et je les ai discrètement remplacés par de la tisane et des herbes de Provence, ne t’inquiète pas, personne n’a rien vu…

— Oui, mais quand même, ce ne sont pas des choses qui se font ! Tu imagines si…

— Non mais, c’est pas bientôt fini de râler, espèce de vieux croûton !… Et toi, tu crois que c’est mieux quand tu piques des trucs au Champion ?

— Oui, enfin non, mais moi, heu… c’est pas pareil… c’est pour…

— Oui, c’est ça… allez, arrête, sinon… je te prépare tout de suite un grand bol de purée !

— OK, OK… je dis plus rien !

— Tu fais bien… Dis-moi plutôt, mon chéri… Ça t’intéresse toujours de savoir comment nous nous sommes retrouvés à Saint-Glinglin l’autre soir ?

— Et comment !!

— Alors, arrête de bougonner, mange tes carottes râpées, ça te rendra aimable, et écoute…

Share on Twitter Share on Facebook