XXVI Chevauchée fantastique

— Mais oui, mon chéri, c’est moi, ta Géraldine… qui d’autre voudrais-tu que ce soit ?

— Mais c’est complètement fou !… Qu’est-ce que tu fais là, avec Piou-piou et Michou, en pleine nuit, dans ce champ de navets, alors que vous devriez être à Saint-Balo ?

— Rien de spécial, on est juste venus te sauver la vie…

— Ça c’est sûr, sans vous, j’étais cuit ! Mais enfin, tout ça ne me dit pas comment…

— Chuuuut… Je t’expliquerai, promis, mais pour l’instant, cesse de t’agiter comme ça, tu m’as l’air sacrément mal en point… Laisse-moi regarder si tu n’as rien de cassé…

— Non, ne t’inquiètes pas, ça va… C’est juste cette cuisse qui me lance…

— Arrête de bouger et laisse-moi faire !… Là, ça te fait mal ?

— Non.

— Et là ?

— Non, je te dis, c’est juste ma cuisse qui…

— Chuuuut… et là ?… Mon Dieu, François ! Mais qu’est-ce que c’est que cette énorme bosse ?

— Où ça, chérie ? Ah, là… ne t’inquiète pas, ce n’est rien, c’est à cause de la purée…

— Que je ne m’inquiète pas ? Tu plaisantes ou quoi ! Ça doit te faire horriblement mal… Non, non, mon chéri… je ne peux décemment pas te laisser dans cet état là… Piou-Piou, Michou ! Venez les enfants ! Faites un gros bisou à votre papounet d’amour, et allez faire un petit tour à l’autre bout du champ, voir si vous ne trouvez pas des korrigans…

Tandis que Piou-piou et Michou s’éloignent, elle saisit ma peau de lapin à deux mains, tire de toutes ses forces, et Schcraaaack !… en déchire sauvagement l’entrejambe.

— Houlala François ! c’est encore pire que ce que je pensais ! Mais ne t’inquiètes pas… il n’y a rien que l’amour ne puisse vaincre… je vais te soigner !

Et, tandis qu’à l’autre bout du champ, un petit canard en plastique et un cornichon au vinaigre jouent à cache-cache avec les korrigans, Zorro, déchaîné, chevauche au grand galop un gros lapin rose allongé sur le dos. À leurs côtés, le Professeur Nieux, un navet enfoncé dans la bouche, refroidit lentement au milieu des plates-bandes, la flèche qui le transperce pointée en plein vers l’étoile du Berger dont l’éclat vacille dans les premières lueurs de l’aube.

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