XXI Trikdur et Bandamore

Dehors, il y a toujours du brouillard mais il ne pleut presque plus. À part quelques ivrognes titubants que la furtive apparition d’un gros lapin rose ne semble pas particulièrement perturber, je ne rencontre pas âme qui vive, et vingt minutes plus tard, je me retrouve devant l’Institut Océanographique de Saint-Glinglin. Je pénètre dans le hall d’entrée et me dirige directement vers l’ascenseur dont le gros bouton rouge clignote dans l’obscurité.

Au sous-sol, hormis un léger bourdonnement émanant des aquariums et quelques vagues clapotis montant des bassins, tout est calme et silencieux. Je me dirige directement vers la salle des harpons… Soudain, je tends l’oreille… Un sanglot étouffé s’élève du fond du couloir, une complainte lancinante, dont la tragique beauté véhicule tout le chagrin du monde. C’est ce pauvre Ouin-Ouin, brisé de solitude, qui du fond de son bassin réclame de toute son âme sa famille perdue… Bouleversé, je m’approche du bord, et je l’aperçois, presque à la surface, quasiment immobile, qui me regarde, désespéré. J’en ai le cœur brisé…

Bon allez, François, ressaisis-toi ! Tu n’es pas venu pour ça, et tu ne peux rien y faire. D’un pas mal assuré, je m’éloigne du bassin et me dirige vers la Salle des Harpons. J’entre et allume le néon. Tout a été nettoyé, le corps de Mimi enlevé, mais la scène reste très nettement gravée dans ma mémoire… ces trois lettres de sang tracées sur le carrelage – CDD –, la position du corps de Mimi, son expression, et puis cette flèche lui traversant le cou de part en part… pointée en plein vers une grande armoire métallique au fond de la pièce. Je m’en approche, elle est fermée par un cadenas à combinaison… Hmmm… Voyons voir… réfléchissons… Tout d’un coup je repense au tableau dans le hall d’accueil et j’ai comme une illumination… fébrilement je tourne les molettes pour former la combinaison 069… Bingo ! l’âge du commandant Jacques-Yves Couchetôt ! J’ouvre le placard… À priori, rien de spécial, juste une vingtaine de harpons de toutes tailles, alignés sur deux rangs… À moins que… Oui… le fond de cette armoire semble un peu trop surélevé… Rapidement, j’enlève tous les harpons, me mets à genoux et commence à tâtonner… héhé, voilà… je m’en doutais… c’est un fond amovible… je le soulève… Tu parles d’une surprise ! À gauche, des dizaines de paquets de purée Mousline alignés dans un carton, à droite, des cageots débordant de boîtes et de sachets : bourrache, catuaba, gingembre, écorce de bandamor, damiana, bitdane, ginseng, bungabunga, mandragore, trikdur, salsepareille, ambre gris, sirop de bambougnak, boisbandé, musc, huile de civette, couydebouk, yohimbé,… tous les aphrodisiaques de la terre semblent s’être donnés rendez-vous au fond de cette armoire…

Soudain, je sens quelque chose de pointu s’enfoncer dans mes reins.

— Restez donc à genoux, mon petit lapin, c’est une excellente position pour faire sa prière.

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