XV

Nous avons passé l’après-midi un peu n’importe comment. Il faisait moins beau que la veille, un vrai temps d’automne, et je me suis bien gardé de faire un bridge avec les amis de Jean et de Lou ; je me rappelais les conseils de Dex ; ce n’était pas le moment de flanquer en l’air les quelques centaines de dollars que j’avais réussi à ramasser ; de fait ces types ne se souciaient guère d’en avoir cinq ou six cents de plus ou de moins, ils cherchaient à tuer le temps.

Jean n’arrêtait pas de me regarder à propos de rien, et je lui dis, en profitant d’un instant de tête à tête, de faire attention. Je dansai encore avec Lou, mais elle se méfiait et je ne pus réussir à mettre la conversation sur un sujet intéressant. Je ne me ressentais plus guère de ma nuit et je recommençais à m’exciter toutes les fois que je regardais sa poitrine ; tout de même, elle se laissait un peu peloter en dansant. Comme la veille, les amis sont partis pas très tard, et nous nous sommes retrouvés tous les quatre. Jean ne tenait plus debout, mais elle en voulait encore, et j’ai eu toutes les peines du monde à la persuader d’attendre ; heureusement, la fatigue opéra. Dex continuait à taper dans le rhum. Nous sommes montés vers dix heures et je suis redescendu presque aussitôt pour prendre un bouquin. Je n’avais pas envie de remettre ça avec Jean et pas assez sommeil pour dormir tout de suite.

Et puis quand je suis entré de nouveau dans ma chambre, j’ai trouvé Lou assise sur mon lit. Elle portait le même déshabillé que la veille, et un slip neuf. Je ne l’ai pas touchée. J’ai fermé à clé ma porte et celle de la salle de bains et je me suis couché comme si elle n’était pas là. Pendant que j’enlevais mes frusques, je l’entendais respirer vite. Une fois au lit, je me suis décidé à lui parler.

– Vous n’avez pas sommeil, ce soir, Lou ? Puis-je quelque chose pour vous ?

– Je suis sûre que vous n’irez pas chez Jean, comme ça, ce soir, répondit-elle.

– Qu’est-ce qui vous fait supposer que j’ai été chez Jean hier soir ?

– Je vous ai entendu… dit-elle.

– Vous m’étonnez. Je n’ai pourtant pas fait de bruit, raillai-je.

– Pourquoi avez-vous fermé ces deux portes ?

– Je dors toujours en fermant mes portes, dis-je. Je ne tiens pas à me réveiller avec n’importe qui à côté de moi.

Elle avait dû se parfumer des pieds à la tête. Elle sentait à des kilomètres et son maquillage était impeccable. Elle était coiffée comme la veille, avec ses cheveux divisés en deux, et réellement, il me suffisait d’allonger la main pour la cueillir comme une orange mûre, mais il me restait un petit compte à régler avec elle.

– Vous avez été chez Jean, affirma-t-elle.

– En tous cas, vous m’avez mis à la porte, dis-je. C’est tout ce que je me rappelle.

– Je n’aime pas vos manières, dit-elle.

– Je me trouve particulièrement correct, ce soir, dis-je. Je m’excuse d’avoir été obligé de me déshabiller devant vous, mais de toute façon je suis certain que vous n’avez pas regardé.

– Qu’est-ce que vous avez fait à Jean ? insista-t-elle.

– Écoutez, dis-je, je vais vous surprendre, mais je ne peux pas faire autrement. J’aime mieux que vous le sachiez. Je l’ai embrassée l’autre jour, et depuis, elle ne cesse de me courir après.

– Quand ?

– Quand je l’ai dessaoulée chez Jicky.

– Je le savais.

– Elle m’y a presque forcé. Vous savez que j’avais un peu bu aussi.

– Est-ce que vous l’avez vraiment embrassée ?

– Comment ?

– Comme moi… murmura-t-elle.

– Non, dis-je simplement avec un accent de franchise dont je fus fort satisfait. Votre sœur est un crampon, Lou. C’est vous que je désire. J’ai embrassé Jean comme… comme j’aurais embrassé ma mère, et elle ne se tient plus. Je ne sais comment me débarrasser d’elle, mais j’ai peur de ne pas y arriver. Elle vous dira sûrement que nous allons nous marier. Ça l’a prise ce matin dans la voiture de Dex. Elle est jolie, mais je n’ai pas envie d’elle. Je crois qu’elle est un peu cinglée.

– Vous l’avez embrassée avant moi.

– C’est elle qui m’a embrassé. Vous savez bien qu’on est toujours reconnaissant à quelqu’un qui s’occupe de vous quand on est noir.

– Est-ce que vous regrettez de l’avoir embrassée ?

– Non, dis-je. Il n’y a qu’une chose que je regrette, c’est que vous n’ayez pas été ivre ce soir-là, au lieu d’elle.

– Vous pouvez m’embrasser, maintenant, dit-elle.

Elle ne bougeait pas et regardait devant elle, mais ça avait dû lui coûter quelque chose de dire ça.

– Je ne peux pas vous embrasser, dis-je. Avec Jean, ça n’avait pas d’importance. Avec vous, ça me rend malade. Je ne vous toucherai pas avant…

Je ne terminai pas ma phrase et je poussai un vague grognement découragé en me retournant de l’autre côté du lit.

– Avant quoi ? demanda Lou.

Elle avait pivoté légèrement et me posa une main sur le bras.

– C’est idiot, dis-je. C’est impossible.

– Dites-le…

– Je voulais dire… avant que nous soyons mariés, Lou, vous et moi. Mais vous êtes trop jeune et jamais je ne vais pouvoir me débarrasser de Jean, et jamais elle ne nous laissera tranquilles.

– Est-ce que vous le pensez sérieusement ?

– Quoi ?

– À m’épouser ?

– Je ne peux pas penser sérieusement une chose impossible, assurai-je. Mais quant à en avoir envie, je vous jure que j’en ai envie sérieusement.

Elle se leva du lit. Je restais tourné de l’autre côté. Elle ne disait rien. Je n’ai rien dit non plus et j’ai senti qu’elle s’allongeait sur le lit.

– Lee, dit-elle au bout d’un moment.

Je sentais mon cœur battre si rapidement que le lit résonnait un peu. Je me retournai. Elle avait ôté son déshabillé et le reste et fermait les yeux, couchée sur le dos. Je pensai qu’Howard Hughes aurait fait une douzaine de films rien que pour la poitrine de cette fille. Je ne la touchai pas.

– Je ne veux pas le faire avec vous, dis-je. Cette histoire avec Jean me dégoûte. Avant de me connaître, vous vous entendiez bien toutes les deux. Je n’ai pas envie de vous séparer d’une façon ou de l’autre.

Je ne sais si j’avais envie d’autre chose que de la baiser à m’en rendre malade, à en croire mes réflexes. Mais je réussis à tenir.

– Jean est amoureuse de vous, dit Lou. Ça se voit.

– Je n’y peux rien.

Elle était lisse et mince comme une herbe, et odorante comme un magasin de parfumerie. Je m’assis et me penchai au-dessus de ses jambes, et je lui embrassai l’intérieur des cuisses, à l’endroit où la peau des femmes est aussi douce que les plumes d’un oiseau. Elle resserra ses jambes, et puis les écarta presque aussitôt, et je recommençai un peu plus haut. Son duvet brillant et bouclé me caressait la joue et, doucement, je me mis à la lécher à coups légers. Son sexe était brûlant et humide, ferme sous la langue, et j’avais envie de la mordre, mais je me redressai. Elle s’assit en un sursaut et saisit ma tête pour la remettre en place. Je me dégageai à moitié.

– Je ne veux pas, dis-je. Je ne veux pas tant que cette histoire avec Jean ne sera pas liquidée. Je ne peux pas vous épouser toutes les deux.

Je lui mordillai les pointes des seins. Elle tenait toujours ma tête et gardait les yeux fermés.

– Jean veut m’épouser, continuai-je. Pourquoi, je ne sais pas. Mais si je refuse, elle s’arrangera certainement pour nous empêcher de nous voir.

Elle se taisait et se cambrait sous mes caresses. Ma main droite allait et venait le long de ses cuisses et Lou s’ouvrait à chaque attouchement précis.

– Je ne vois qu’une solution dis-je. Je peux épouser Jean et vous viendrez avec nous, et nous trouverons bien le moyen de nous voir.

– Je ne veux pas, murmura Lou.

Sa voix résonnait inégalement et j’aurais presque pu en jouer comme d’un instrument de musique. Elle changeait d’intonation à chaque nouveau contact.

– Je ne veux pas que vous lui fassiez ça.

– Rien ne me force à lui faire ça, dis-je.

– Oh, faites-le moi, dit Lou. Faites-le moi tout de suite !

Elle s’agitait, et, chaque fois que ma main remontait, allait au-devant d’elle. Je glissai ma tête vers ses jambes, et, la tournant sur le côté, son dos vers moi, je soulevai sa jambe et introduisis ma figure entre ses cuisses. Je pris son sexe entre mes lèvres. Elle se raidit soudain, et se relâcha presque aussitôt. Je la suçai un peu et me retirai. Elle était à plat ventre.

– Lou, murmurai-je. Je ne vous baiserai pas. Je ne veux pas vous baiser avant que nous soyons tranquilles. Je vais épouser Jean et nous nous en tirerons. Vous m’aiderez.

Elle se remit sur le dos d’un seul coup et m’embrassa avec une espèce de fureur. Ses dents choquèrent les miennes, et pendant ce temps je lui caressais les reins. Et puis je la pris par la taille et la mis debout.

– Rentrez vous coucher, lui dis-je. Nous avons dit beaucoup de bêtises. Rentrez vous coucher sagement.

Je me levai à mon tour et l’embrassai sur les yeux. Heureusement, j’avais gardé un slip sous mon pyjama et je conservai ma dignité.

Je lui remis son soutien-gorge et son slip ; je lui essuyai les cuisses avec mon drap, et je lui fis enfin passer son déshabillé transparent. Elle se laissait faire sans rien dire, elle était molle et tiède dans mes bras.

– Dodo, petite sœur, lui dis-je. Je file demain matin. Tâchez d’être là au petit déjeuner. J’aime bien vous voir.

Et puis je la poussai dehors et je refermai la porte. Sûr, je tenais ces deux filles. Je me sentais tout joyeux à l’intérieur et c’est probablement que le gosse se retournait sous ses six pieds de terre, alors, je lui tendis ma patte. C’est quelque chose, de serrer la main de son frère.

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